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30 ans de la PlayStation : "Tout le monde nous disait qu'on allait échouer", selon son créateur Ken Kutaragi

D'une collaboration houleuse avec Nintendo à la console qui a changé la face du jeu vidéo : le Japonais Ken Kutaragi, père de la PlayStation sortie en 1994, revient sur la genèse d'une machine dont quasiment personne ne voulait à l'époque.
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Au début des années 1990, les consoles, à l'image de la NES de Nintendo, "étaient considérées comme des jouets pour enfants", a raconté l'ingénieur de 74 ans, peu présent dans les médias, lors d'un entretien avec l'AFP à Tokyo.

A l'époque, les jeux vidéo sont en deux dimensions et les images de synthèse encore rares, même au cinéma où elles sont utilisées avec parcimonie dans des films comme "Total Recall" avec Arnold Schwarzenegger, sorti en 1990.

"Ces films prenaient un ou deux ans à fabriquer, avec des budgets de dizaines de millions de dollars. A l'époque, on ne pouvait pas générer d'images de synthèse en temps réel", c'est-à-dire afficher instantanément des objets en 3D dans une position donnée, a ajouté le créateur.

A l'inverse, ce simple employé de Sony, qui allait devenir une légende de l'histoire du jeu vidéo, voulait "tirer parti des progrès de l'informatique pour créer une nouvelle forme de divertissement", explique-t-il, les yeux brillants.

Sony travaille d'abord en partenariat avec Nintendo sur un lecteur de CD-ROM compatible avec la console Super Famicom — Super Nintendo hors-Japon — de son compatriote et sur sa propre machine capable de lire cartouches et CD, qui doit s'appeler la "Play Station".

Mais coup de théâtre : quelques heures après que Sony présente ce projet en 1991 lors d'un salon à Las Vegas, Nintendo dévoile sa propre version en collaboration avec... le néerlandais Philips. L'épisode est vu comme une trahison et une humiliation pour Sony.

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"Accueil glacial"

"Les journaux ont écrit que c'était une mauvaise nouvelle pour nous", mais "il était inévitable que Nintendo et nous-mêmes suivions nos propres chemins, car nos approches étaient fondamentalement différentes". Pour eux, "les jeux vidéo étaient des jouets, qui n'avaient rien à voir avec la technologie".

Sans ce revirement, la PlayStation telle qu'on la connaît "n'aurait pas vu le jour", reconnaît l'ingénieur.

Pour obtenir le feu vert au sein de Sony, il doit d'abord se battre en interne, "la plupart des dirigeants étant farouchement opposés" à ce que la prestigieuse entreprise s'aventure dans ce domaine, au risque de ternir son image de fabricant d'appareils haut de gamme.

Même auprès des entreprises japonaises de jeu vidéo, "l'accueil était glacial", car créer des jeux 3D en temps réel semblait "impensable". "Tout le monde nous disait qu'on allait échouer".

Malgré ces obstacles, la PlayStation sort au Japon le 3 décembre 1994, et en Occident quelques mois plus tard.

Pour contourner la mainmise de Nintendo sur la distribution de consoles, Sony s'appuie sur son expérience dans l'industrie musicale pour établir un nouveau modèle de distribution au Japon et créer à l'étranger "des canaux spécifiques à la PlayStation, adaptés à chaque marché local".

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"Sciences-fiction"

Interrogé alors sur l'avenir après le succès de la PlayStation, Ken Kutaragi prédit, des années avant son arrivée, l'avènement du jeu sur mobile, puis l'émergence du jeu à distance, sans téléchargement, le "cloud gaming".

"Même avant de rentrer chez Sony, j'avais l'habitude de réfléchir à l'avenir des technologies sur 10 ou 20 ans pour anticiper les tendances", mais "c'était difficile à comprendre pour beaucoup".

Ken Kutaragi a quitté Sony, dont il était devenu vice-président, en 2007, après le lancement de la PlayStation 3. Il dirige aujourd'hui une start-up travaillant sur l'intelligence artificielle (IA) et la robotique, et enseigne à la faculté d'informatique de l'université Kindai.

Avec les progrès de l'informatique et de l'IA, "nous entrons désormais dans un monde où tout peut être mis en calcul, fusionnant avec l'IA", prédit-il. "Cela va ouvrir de nombreuses possibilités."

"Par exemple, ChatGPT est rendu possible parce que le langage est devenu calculable".

Dans des secteurs aussi divers que la création de musiques ou d'images, le divertissement ou la médecine, "un grand nombre de choses peuvent désormais être mises en calcul" par un ordinateur, explique Ken Kutaragi.

Maintenant, "imaginez que l'axe temporel, que l'espace, deviennent aussi calculables".

"Pour l'instant, c'est une possibilité limitée au monde des jeux vidéo" mais "imaginez que nous puissions nous déplacer instantanément dans n'importe quel endroit". "Ce qui relevait de la science-fiction pourrait devenir réalité."

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