Quand Lionel Sauvage pose son regard sur le tableau "La diseuse d'aventure" lors du montage de l'exposition, le soulagement se lit sur son visage.
"Je suis très proche de ce tableau, je vis avec ce tableau. Donc c'est un peu comme un enfant, on se fait du souci", explique le collectionneur franco-américain, qui n'avait plus vu l'oeuvre depuis qu'elle avait quitté Los Angeles en proie aux flammes.
Ce passionné de Watteau - "mes enfants diraient obsessionnel", glisse-t-il - en possède aujourd'hui cinq tableaux et une quinzaine de dessins.
"La diseuse d'aventure" a été sauvée deux fois, précise-t-il. Une première fois en 2012 quand le collectionneur, qui venait de l'acquérir, l'a faite authentifier, alors qu'une copie exposée dans un musée de San Francisco était présentée comme l'original.
Exfiltration en pleine nuit
Le deuxième sauvetage est survenu en janvier, quand un méga-feu ravageait Pacific Palisades, quartier huppé de Los Angeles où habite Lionel Sauvage, ancien haut responsable d'une grande société américaine de gestion d'actifs.
Ses tableaux de Watteau sont alors "la première chose" à laquelle il pense. Avec son jardinier John Denuccio, ils descendent les oeuvres dans une cave hermétique, puis protègent la villa des flammes pendant 12 heures grâce à une pompe reliée à l'eau de la piscine.
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"On est revenus le lendemain et la maison était toujours en place, les oeuvres étaient là (...) mais il n'y avait pas de ventilation, pas de contrôle de température, de l'humidité", raconte John Denuccio depuis Los Angeles.
Pour exfiltrer les oeuvres du quartier, évacué et bouclé par la garde nationale, les deux hommes louent une camionnette et partent à trois heures du matin, pendant que "les militaires dorment dans leur camion", relate Lionel Sauvage.
Les oeuvres s'envolent plus tard pour la France, où plusieurs d'entre elles ont rejoint le musée Condé du château de Chantilly pour son exposition "Les mondes de Watteau", du 8 mars au 15 juin, comme initialement prévu.
Les oeuvres possédées par Lionel Sauvage sont d'autant plus précieuses qu'elles "ont très rarement été exposées" voire, pour certaines, jamais, souligne Axel Moulinier, co-commissaire de l'exposition, qui a été parcouru d'"un frisson" lorsqu'il a appris que les incendies menaçaient la maison de Lionel Sauvage.
Une perte "effroyable" évitée
Si Watteau n'a plus fait l'objet d'une grande rétrospective depuis 1984, il a été "une sensation immédiate" de son vivant, souligne Baptiste Roelly, co-commissaire de l'exposition.
"Watteau incarne un moment charnière dans l'histoire de France", complète M. Moulinier. "C'est la fin du règne de Louis XIV, la France est exsangue financièrement, un peu moralement aussi" et le peintre innove en créant le genre des "fêtes galantes", qui, en représentant les fêtes organisées en plein air par l'aristocratie de l'époque, permettent aux spectateurs de s'évader.
L'exposition "est née d'une rencontre" entre les oeuvres du musée Condé et celles de Lionel Sauvage, "sans doute la plus grosse collection (privée, NDLR), en matière de Watteau, qui existe aujourd'hui", estime M. Roelly.
Le musée Condé, qui possède quant à lui quatre peintures et six dessins de Watteau, a aussi obtenu d'autres prêts pour son exposition, réunissant une cinquantaine d'oeuvres du peintre.
"En tant que collectionneurs, finalement, on ne possède pas ces oeuvres, on est là pour les garder pour les générations futures", estime M. Sauvage.
"Si un malheur était advenu, ça aurait été une perte pour l'histoire de ce grand maître (...) qui a révolutionné, en quelque sorte, le cours de la peinture", souligne Mathieu Deldicque, directeur du musée Condé. "Cela aurait été quelque chose d'assez effroyable."
"Dieu merci, j'étais là et j'ai pu les protéger", se réjouit Lionel Sauvage. "Les oeuvres sont intactes. Elles n'ont pas souffert. Elles auront une longue vie."
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