De leurs clients, ils ne connaissent que les pseudos : "Kalach", "Al Pacino" ou "Sheitan" (Satan). Après le meurtre d'un de leurs collègues par un jeune de 14 ans, les chauffeurs VTC marseillais réclament une meilleure sécurisation des plateformes, et en premier lieu la vérification de l'identité des clients.
Mercredi, ils étaient une centaine rassemblés à Marseille pour dire leur colère. Devant leurs berlines lustrées, parquées en double file sur le Vieux-Port, tous témoignent des mêmes incivilités, les refus de paiement, les menaces et aujourd'hui la peur, après la mort de Nessim Ramdane. Ce père de famille de 36 ans a été tué vendredi par son client, jeune tueur à gages recruté pour un "contrat" sur fond de trafic de drogues.
"Evidemment qu'on a peur... On travaille dans le stress, sous la pression, les menaces", s'indigne Houari Benali, président de l'Union des chauffeurs VTC marseillais, à l'initiative du rassemblement.
Les quelque 3000 chauffeurs VTC de Marseille travaillent pour la plupart avec différentes plateformes, Uber, Heetch ou encore Bolt, celle de Nessim Ramdane. Cette dernière est particulièrement mise en cause, les chauffeurs l'accusant de ne faire "aucun contrôle, en ne réclamant ni pièce d'identité, ni carte bancaire". "Du coup, les plaintes restent sans suite car les clients sont non identifiés", dit M. Benali.
"Bolt est pointée du doigt parce que c'est sur cette application qu'il y a le plus de problèmes", affirme Nicolas Pascal, représentant Force Ouvrière des VTC marseillais, qui souligne toutefois que "les demandes des syndicats ont été balayées par toutes les plateformes lors des dernières discussions".
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Kinder surprise
Riadh est chauffeur VTC depuis seulement six mois mais songe déjà à abandonner. Comme tous les chauffeurs interrogés par l'AFP, il déplore les conditions imposées par les plateformes: "on ne sait rien sur le client, alors qu'eux savent tout sur nous. Moi, quand j'accepte un client, il a ma plaque d'immatriculation, ma photo, il voit la voiture se déplacer sur la carte... Nous quand on arrive, c'est Kinder surprise, on ne sait pas ce qu'on trouve. Ils s'appellent 'Le shark' (requin) ou 'Cmoi'... on voit bien que certains sont bizarres, mais une fois sur place on ne peut pas annuler, sinon on risque des problèmes...."
De plus, explique Riadh, qui comme ses collègues refuse de donner son nom de famille, les plateformes décomptent le nombre de courses annulées par les chauffeurs. "Plus tu annules, moins on te propose de courses ou des courses moins rentables".
Haikel est VTC depuis un an. Et déjà son taux d'acceptation est tombé à 26 %. "Moi j'évite certains arrondissements, les 14e et 15e (dits "quartiers nord"), et maintenant après ce qui s'est passé, j'hésite à aller dans le 3e", l'arrondissement où s'est fait tuer Nessim Ramdane.
"Bolt m'a déjà envoyé des alertes sur mon taux, je sais que bientôt ils vont m'appeler pour me dire qu'ils ne veulent plus travailler avec moi. Mais j'ai des enfants... Quand je pense que j'ai lâché un CDI pour faire ça, que j'ai acheté mon véhicule...", dit-il avec amertume.
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"On peut te flinguer !"
Sollicitée par l'AFP, Bolt affirme "tout mettre en oeuvre pour garantir la sécurité des chauffeurs et des passagers", tout en rappelant être soumise à des "exigences légales" qui compliquent "la collecte de données personnelles".
"En face de nous on a de vrais voyous, ou de jeunes ados qui n'ont aucune conscience du bien et du mal, qui sont sous stupéfiants", dit un chauffeur qui refuse de donner identité. "Un jour, j'ai pris des jeunes qui ne voulaient pas me payer. J'ai insisté, gentiment, ils m'ont répondu : +pour qui tu nous prends ? tu nous menaces ? on peut te flinguer+".
D'autres évoquent un collègue récemment frappé à coups de cutter par un client, ou ce chauffeur VTC qui l'an dernier a pris deux balles de kalachnikov, destinées à son client.
"Combien de fois on est obligés de faire la tournée pour ramasser la recette (du trafic de drogue, NDLR ) ? On sait bien que les courses +multipoints+ (avec plusieurs arrêts, NDLR) servent souvent à ça ou aux livraisons. Combien de fois on a livré des armes et on le sait pas..."
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