Dans cette affaire retentissante, l'ex-chef de l'État est soupçonné d'avoir noué, via ses proches, un "pacte de corruption" avec le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, afin qu'il abonde sa campagne victorieuse de 2007, en échange notamment d'un retour en grâce sur la scène internationale.
Une "fable", a toujours affirmé Nicolas Sarkozy, qui "attend avec détermination ces quatre mois d'audience. Il va combattre la construction artificielle imaginée par l'accusation. Il n'y a aucun financement libyen de la campagne", a déclaré son avocat, Me Christophe Ingrain.
Jugé jusqu'au 10 avril pour corruption, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne et association de malfaiteurs, il encourt 10 ans de prison et 375.000 euros d'amende, ainsi qu'une privation des droits civiques (donc une inéligibilité) allant jusqu'à 5 ans.
Pour la première fois, l'ex-chef de l'État comparaîtra avec un casier, trois semaines après avoir été définitivement condamné pour corruption dans l'affaire des écoutes à un an de prison ferme sous bracelet électronique - il doit être convoqué prochainement devant un juge pour en déterminer les modalités.
Affaire des écoutes: Sarkozy définitivement condamné à un an sous bracelet
Rencontre à Tripoli
Après dix ans d'investigations, deux juges d'instruction ont estimé en août 2023 les charges suffisantes pour renvoyer devant la justice 13 hommes, dont les anciens ministres Claude Guéant, Brice Hortefeux et Éric Woerth - 12 prévenus seulement seront néanmoins jugés, l'un d'eux étant décédé.
Le tribunal va explorer un dossier foisonnant et se plonger dans une époque révolue, celle où la Libye était dirigée depuis près de 40 ans par Mouammar Kadhafi.
L'affaire débute pour l'accusation fin 2005, à Tripoli, lors d'une rencontre officiellement consacrée à l'immigration clandestine entre le colonel et Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, qui pense alors à la présidentielle "pas simplement quand (il se) rase".
Un "pacte" est alors conclu, selon l'accusation qui s'appuie sur les déclarations de sept anciens dignitaires libyens, sur les déplacements discrets, avant et après, de Claude Guéant et Brice Hortefeux mais aussi sur les carnets de l'ex-ministre libyen du Pétrole Choukri Ghanem, retrouvé noyé dans le Danube en 2012.
Les contreparties supposées ? D'abord une réhabilitation internationale: Kadhafi sera accueilli en grande pompe par Nicolas Sarkozy fraîchement élu président lors d'une visite controversée à Paris, première depuis trois décennies.
Mais aussi la signature de gros contrats et un coup de main judiciaire à Abdallah Senoussi, directeur des renseignements libyens condamné à perpétuité en son absence en France pour son rôle dans l'attentat du DC-10 d'UTA en 1989, qui a coûté la vie à 170 personnes dont 54 Français. Une vingtaine de proches sont parties civiles au procès.
Exfiltration
Parmi les prévenus figurent deux hommes de l'ombre, rompus aux négociations internationales parallèles: le discret Alexandre Djouhri et le sulfureux et versatile Ziad Takieddine - aujourd'hui en fuite au Liban.
Sur un compte de ce dernier ont été retrouvés trois virements des autorités libyennes pour 6 millions d'euros au total ; il a aussi décrit des "valises" remises à Claude Guéant, contenant des "grosses coupures".
Les investigations ont par ailleurs montré que des espèces d'origine inconnue avaient circulé au QG de campagne de Nicolas Sarkozy: Eric Woerth, trésorier à l'époque, rétorquera qu'il s'agissait de "dons anonymes" pour quelques milliers d'euros seulement.
Alexandre Djouhri devra entre autres s'expliquer sur la rocambolesque exfiltration hors de France de Béchir Saleh, l'ancien directeur de cabinet de Kadhafi, dans l'entre-deux-tours de la présidentielle 2012.
"Claude Guéant démontrera qu'après plus de dix années d'instruction, aucune des infractions qui lui sont reprochées ne sont établies", a déclaré son conseil Me Philippe Bouchez El Ghozi, dénonçant "une somme d'assertions, d'hypothèses et autres approximations".
Nicolas Sarkozy conteste tout: pour lui, les accusations des Libyens ne sont qu'une "vengeance" s'expliquant par son soutien actif aux rebelles au moment du printemps arabe qui fera chuter Kadhafi, tué en octobre 2011.
Sa défense récuse les potentielles contreparties et proteste qu'"aucune trace" de financement illégal n'a été retrouvée dans les comptes de la campagne, brocardant aussi les "16 versions" de Ziad Takieddine dans ce dossier.
L'une d'elle, une rétractation temporaire en 2020, fait l'objet d'une autre enquête: une douzaine de personnes sont mises en cause pour avoir voulu innocenter Nicolas Sarkozy par des moyens frauduleux. L'ex-président est mis en examen, soupçonné d'avoir avalisé ces manoeuvres.
Ce que disait Nicolas Sarkozy sur les aménagements de peines de prison