Crédit : Sylvain Lefevre / Getty Images

Le Conseil constitutionnel se penche mardi sur l'inéligibilité, à deux semaines du jugement Le Pen

La liberté des électeurs doit-elle primer sur une décision de justice non définitive ? Le Conseil constitutionnel se penche mardi sur les peines d'inéligibilité immédiate, lors d'une audience qui sera scrutée de près par Marine Le Pen, elle-même menacée de ne pas pouvoir se présenter à la présidentielle 2027.
À voir également sur Brut

La cheffe de file de l'extrême droite saura le 31 mars si le tribunal correctionnel de Paris suit ou non les réquisitions du parquet, qui a réclamé contre elle en novembre une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire (s'appliquant immédiatement, même en cas d'appel) dans l'affaire des assistants d'eurodéputés du Rassemblement national.


La demande de peine d'inéligibilité était attendue, car elle est obligatoire en cas de condamnation pour détournement de fonds publics, mais celle d'exécution immédiate l'était beaucoup moins, et avait scandalisé au RN et au-delà.

Inéligibilité : ce que risque vraiment Marine Le Pen si elle est condamnée


Elle avait soudainement rendue réelle la possibilité que Marine Le Pen soit empêchée de participer à l'élection présidentielle de 2027 alors qu'elle se pensait protégée, même en cas de condamnation, par la possibilité de faire appel.


"Si je suis interdite de me présenter avec exécution provisoire, c'est-à-dire avec l'impossibilité en réalité que mon appel puisse avoir une influence sur la décision qui a été prise, ce serait incontestablement une décision profondément antidémocratique, puisqu'elle priverait le peuple français de potentiellement choisir sa future présidente de la République", a déclaré récemment celle qui avait estimé au lendemain des réquisitions que sa "mort politique" était réclamée. 


L'affaire examinée mardi par le Conseil constitutionnel n'a rien à voir avec la sienne - un hasard du calendrier. 


Il s'agit d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par un conseiller municipal mahorais privé de son mandat après avoir été condamné à une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire.


Cette règle, estime l'élu, est contraire à la Constitution car elle porte atteinte à la séparation des pouvoirs et à la "préservation de la liberté de l'électeur". Le Conseil d'Etat a jugé que la question valait d'être transmise au Conseil constitutionnel. 

"QPC ou pas"


La décision des Sages sera rendue 10 jours après, le 27 ou le 28 mars, soit quelques jours avant le jugement Le Pen.


L'imminence de cette décision n'a pas manqué d'alimenter les soupçons de députés sur un éventuel "accord secret" entre le RN et Richard Ferrand, tout juste nommé président du Conseil constitutionnel, le RN ne s'étant pas opposé à sa nomination - contrairement à la gauche et à la droite.


Le cas de Marine Le Pen est inédit, mais on sait déjà que le Conseil constitutionnel goûte assez peu au principe de l'exécution provisoire. 


C'est en effet à lui qu'il revient, concernant les élus nationaux, de déchoir de leur mandat les parlementaires condamnés à une peine d'inéligibilité, mais il a toujours refusé de le faire en cas d'exécution provisoire, considérant que la décision n'était pas définitive.


L'argument, qui peut surprendre car il vide de sens le principe même de l'exécution provisoire, avait notamment justifié le rejet de la demande de déchéance de mandat de l'ancien sénateur socialiste Jean-Noël Guérini, en 2021. 


Le Conseil constitutionnel pourrait donc profiter de cette QPC pour acter que la liberté de l'électeur doit primer sur une décision de justice non définitive.


Reste à savoir quelles seront les conséquences immédiates pour Marine Le Pen.


Les constitutionnalistes et juges interrogés par l'AFP ont répondu qu'ils verraient mal les trois magistrats chargés du dossier RN ne pas tenir compte d'une telle décision.


Mais s'ils décidaient, comme le parquet, que les faits jugés méritent cette inéligibilité immédiate, ils pourraient tout à fait "passer en force" et prononcer la peine qu'ils veulent - au risque de rendre une décision fragile pouvant tomber en appel ou en cassation.


"QPC ou pas" souligne en tout cas l'un des juges interrogés, les trois magistrats - qui délibèrent depuis quatre mois - sont parfaitement au courant des enjeux politiques de ce dossier, et "se posent évidemment déjà toutes ces questions".

A voir aussi