A Marseille, des collégiens sensibilisés aux dangers du narcotrafic par la police

"Vous connaissez le fonctionnement d'un réseau ?". A Marseille, des policiers préviennent les collégiens des dangers du narcotrafic.
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Comment les réseaux recrutent des jeunes ? Que risquent-ils ?

"Je m'appelle Seb, j'ai 49 ans, je suis originaire des quartiers nord": face à une dizaine de collégiens, mardi, ce policier marseillais, longue barbe rousse, avant-bras tatoués et bagues aux doigts, entame son atelier de sensibilisation aux dangers du narcotrafic.

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Ces élèves de 3e du collège Vallon des Pins, dans les quartiers populaires du nord de Marseille, sont accueillis toute la journée au Centre loisir jeunes (CLJ) de la police nationale, sur la plage du Prophète, une des plus populaires de la ville, au pied de la corniche.

"Vous connaissez le fonctionnement d'un réseau ?", lance le policier au groupe d'adolescents. 

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"Gérant", "vendeur", "nourrice", "chouf" (NDLR: guetteur): les élèves se pressent pour répondre et montrer que tout cela n'a aucun secret pour eux, jusqu'au fameux "arah" ("Attention" en arabe, NDLR), ce cri lancé par les vigies pour prévenir de l'arrivée d'une personne indésirable sur un "plan stup".

Comment les réseaux recrutent des jeunes ? Que risquent-ils ? Ton détendu, Sébastien "Seb" Giraud et son collègue Enzo Tranchant, 27 ans, ont troqué leur uniforme pour un jogging et un sweat-shirt gris estampillé "police". 

"On essaie de rentrer dans leurs codes, d'employer les mots qu'ils emploient", explique Enzo Tranchant, visage encore juvénile.

Le dialogue est fluide, les questions s'enchaînent.

"Est-ce que je peux prévenir qu'il y a la police sans pour autant participer au trafic ?", demande une élève.

"Plus facilement manipulables"

"Non", lui répond Sébastien Giraud, qui explique qu'il s'agit là de "complicité". "La justice s'est même adaptée en interprétant désormais le cri +arah+ comme une alerte au réseau", prévient-il, pour dissuader sa jeune audience, rappelant que "les choufs, c'est les plus faciles à prendre".

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"Les guetteurs, c'est la porte d'entrée des réseaux, c'est une main-d'oeuvre facile, et c'est votre tranche d'âge qui est ciblée", martèle Enzo Tranchant. 

De l'amende au crime en passant par le délit, toutes les peines sont détaillées dans une présentation projetée au mur. "Je pensais pas qu'un guetteur pouvait prendre autant" (NDLR: cinq à dix ans de prison pour participation au trafic), s'exclame Mehdi, 13 ans.

"Et encore, ces peines, c'est de l'éducatif", ajoute en souriant Sébastien Giraud. "Sinon c'est des règlements de compte que vous risquez", évoque-t-il en référence à deux récents narchomicides lors desquels un adolescent de 15 ans a été brûlé vif, repéré par le gang adverse, et un chauffeur de VTC abattu d'une balle dans la tête par un adolescent de 14 ans.

500 collégiens des Bouches-du-Rhône sensibilisés cette année

Chaque année, le CLJ accueille 20 classes de primaire et environ 500 collégiens des Bouches-du-Rhône, principalement de Marseille. Depuis sa création en 1991, des fonctionnaires de police tentent de prévenir la délinquance chez les jeunes en ouvrant le dialogue avec eux, notamment grâce à des activités sportives.

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Mais face au rajeunissement des membres des réseaux et des auteurs de narchomicides, cet atelier de prévention uniquement axé sur le narcotrafic a été mis en place il y a deux ans. 

Ils sont 16 fonctionnaires de la brigade maritime à faire de la sensibilisation, en plus de leur activité de terrain.

Sayle salue cette initiative pour "ne pas qu'on devienne des délinquants": "A notre âge, on est plus facilement manipulables", admet cet adolescent de bientôt 14 ans. 

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"Je vois souvent des clients devant le bloc, des fois je vois des guetteurs, beaucoup la police aussi... C'est du gâchis, les gens ont le droit de vivre normalement et tranquillement", clame-t-il.

"Maintenant, quand je verrai les policiers arriver, je vais me dire +tant mieux, ils vont nous aider à nous débarrasser du trafic+", affirme sa camarade Hanya, les cheveux tirés en chignon, témoin régulière des trafics dans son quartier.

Timidement elle confie qu'un de ses amis a déjà fait le guetteur. "Il était content, il s'est fait des sous, mais il voit pas les dégâts que ça peut faire derrière", regrette-t-elle.

"Si vous faites le choix de ne pas fréquenter ces gens, si vous arrivez à refuser qu'on vous paye un kebab, si rien qu'une personne parmi vous arrive à dire +non+, on aura gagné", conclut Sébastien Giraud.

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