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Vers une loi sur le port du voile par les sportives

Proscrit par certaines fédérations sportives, autorisé par d'autres, le port du voile divise depuis plusieurs années le sport français, un sujet épineux sur lequel le Sénat se penche à partir de mardi pour étudier son interdiction totale. 
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Ce débat, qui expose régulièrement la France à l'incompréhension à l'étranger, avait été mis sous les feux des projecteurs au moment des Jeux olympiques: au nom de la défense de la laïcité, le port du voile avait été proscrit pour les sportives françaises sélectionnées. L'athlète française Sounkamba Sylla n'avait pu participer à la cérémonie d'ouverture qu'après un compromis, troquant son foulard pour une casquette. 

Plusieurs sportives étrangères, comme la boxeuse australienne Tina Rahimi, qui combat elle-même avec un hijab, avaient dénoncé cet interdit, jugé à l'automne "discriminatoire" par des experts mandatés par le Conseil des droits humains de l'ONU. 

La proposition de loi, dont le sénateur (LR) de l'Isère Michel Savin est à l'origine, ne concerne pas uniquement les sportives sélectionnées, mais vise à interdire le port de signes religieux dans toutes les compétitions, y compris chez les amateurs. Elle doit être débattue à partir du 18 février par les parlementaires. 

"Une harmonisation (est) souhaitée par beaucoup de fédérations", plaide une source au sein du mouvement olympique français. Sauf que cette harmonisation ne va pas de soi pour les fédérations, comme le handball ou l'athlétisme, qui autorisent leurs licenciées à porter le voile.

La question n'est pas nouvelle. Le Conseil d'Etat, saisi par le collectif des Hijabeuses, avait tranché mi 2023 pour le maintien de l'interdiction dans le football, malgré un avis contraire du rapporteur. Depuis, certaines fédérations se sont alignées sur cette interdiction, comme au volley-ball ou au rugby.

"Laïcité à la française"

"Nous, ça nous a semblé logique. Dès l'instant qu'on signe un engagement de respect des valeurs de la République, ce qui est obligatoire pour avoir la délégation de services publics, je ne vois pas comment on peut ne pas appliquer la laïcité, qui est un des principes de la République", explique à l'AFP le président de la fédération française de volley-ball Eric Tanguy.

S'il reconnaît quelques "incompréhensions" sur le terrain avec "quelques arbitres ayant eu du mal à faire appliquer la règle", Eric Tanguy regrette un "manque d'uniformité" et souhaite que la loi soit le juge de paix.

Les présidents de fédération sont sur une ligne de crête, car les fédérations internationales, elles, autorisent le port du hijab.

"La laïcité à la française que nous chérissons d'une manière générale ici en France n'est pas forcément comprise à l'international", reconnaît le président du comité olympique français (CNSOF), David Lappartient, également candidat à la présidence du CIO. La France était le seul pays à avoir interdit le port du hijab à ses sportives pendant les Jeux de Paris. 

"Ce n'est pas aussi simple que ça de répondre à cette question-là", avoue-t-il, disant ne vouloir "exclure" personne.

Cet alignement sur l'arrêt du Conseil d'Etat n'est en tout cas pas partagé par tous. "C'est une interprétation particulière de cette décision", estime Béatrice Barbusse, sociologue du sport et maître de conférences à l'Université Paris Est-Créteil, relevant que l'interdiction avait notamment été justifiée par des risques de troubles à l'ordre public. Paradoxalement, "c'est justement ce genre de décision qui risque d'envenimer les choses", regrette-t-elle.

"Sujet d'inquiétude"

"On a, à la tête de nos organisations fédérales, des gens qui n'ont pas le courage de prendre certaines décisions puisqu'ils s'en remettent à la loi", fustige l'universitaire. 

Pour Michel Savin, cette proposition de loi vise à se prémunir du radicalisme rampant: "Ceux qui sont à l'origine de ce phénomène poursuivent un objectif de radicalisme religieux", estime-t-il. "Il s'agit pour eux de tester le terrain."

Un rapport de l'Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur de mars 2022, assure pourtant que les données collectées "échouent à montrer un phénomène structurel ni même significatif de radicalisation ou de communautarisme dans le sport".

Aucune étude ne permet de mesurer l'ampleur du phénomène. "Il ne faut pas se réfugier derrière l'idée que c'est un phénomène marginal. Peu c'est déjà trop", assure Michel Savin.

Au sein de certains clubs sportifs, le sujet est toutefois prégnant.

"On est appelé tous les mois pour une ou deux affaires", explique Denis Lafoux, secrétaire général fédération omnisports (600 clubs, 750.000 pratiquants). "Les clubs ne savent pas trop ce qu'ils doivent faire, où ils en sont. C'est un sujet d'inquiétude pour eux."

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