Gironde : une affaire "systémique" de traite d'êtres humains dans les vignes

En Gironde, un procès pour traite d'êtres humains dans les vignes vient de s'ouvrir. Un père et son fils auraient exploité six personnes.
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"On s'inscrit dans quelque chose de très grave, et systémique"

L'accusation n'y voit pas un cas isolé mais un "système": un nouveau procès pour traite d'êtres humains dans les vignes s'est tenu mardi à Libourne dans le Bordelais, où un père et son fils marocains comparaissaient pour avoir exploité six compatriotes.

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"On s'inscrit dans quelque chose de très grave, et systémique", a insisté la vice-procureure Elodie Blier, affirmant que "ce sont des faits qui gangrènent le Libournais et portent préjudice à l'ensemble de la filière viticole".

Au terme de récents procès, des prestataires de services et une employeuse ont été condamnés pour des faits similaires devant les tribunaux de Bordeaux et Libourne, qui jugera une autre affaire de traite le 19 novembre.

Une "ubérisation du secteur" dénoncée

Dénonçant une "ubérisation du secteur", la magistrate a requis deux ans de prison dont un ferme à l'encontre d'Ahmed Genna, un quinquagénaire poursuivi notamment pour traite d'êtres humains et soumission de personnes dépendantes à un logement indigne.

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Le parquet a également exigé l'indemnisation des victimes et l'interdiction définitive de gérer une société commerciale.

Pour le fils d'une vingtaine d'années, "qui a obéi à son père", la magistrate a requis un an d'emprisonnement avec sursis probatoire de deux ans. Elle a enfin réclamé 30.000 euros d'amende à l'encontre de la société de M. Gemma qui servait d'interface avec les domaines viticoles.

À la barre, les victimes - auparavant mécanicien, ouvrier, salarié, poissonnier - ont livré des récits similaires.


"J'ai accepté car je rêvais d'une vie meilleure en France"

Tous recrutés au Maroc pour travailler comme saisonniers agricoles en France, ils racontent que les deux prévenus leur ont promis un titre de séjour pérenne, un emploi stable rémunéré à 1.500 euros par mois et un logement. En contrepartie, ces jeunes hommes leur ont versé quelque 12.000 euros pour venir.

"J'ai accepté car je rêvais d'une vie meilleure en France", témoigne l'un d'eux, expliquant avoir puisé dans ses économies, mais aussi celles de sa sœur et sa mère, pour payer. Arrivé en France en juin 2022, "je ne savais pas où j'allais vivre, ni où j'allais travailler", poursuit-il en dans un dialecte marocain.

Premier à avoir porté plainte, en septembre 2022, il raconte le logement exigu où s'entassaient huit personnes, avec des matelas sales à même le sol, les douches à l'eau froide. Mais surtout un rythme de travail effréné dans les vignes, avec 15 minutes de pause déjeuner et aucune rétribution pour 18 jours travaillés.

"Vaste arnaque"

Une autre victime tente de contenir sa colère face à ce qu'il qualifie de "vaste arnaque". "J'avais confiance en Mehdi que je connaissais depuis mon enfance. Je n'avais pas de raison de douter de lui", dit-il.

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Face à eux, Ahmed Genna s'exaspère. Ce quinquagénaire à la carrure imposante balaie les accusations d'hébergement indigne, confirmées par l'Inspection du travail selon la présidente du tribunal.

"Le logement était propre, ils ont fait exprès de tout salir et après, ils ont pris des photos, des vidéos", lance-t-il. "Rien n'est vrai, ils mentent, personne ne m'a donné de l'argent pour venir en France."

"Ils n'ont pas réussi à supporter la charge de travail dans la vigne, ce sont des incapables, ils n'ont même pas travaillé une seule journée, je n'avais pas à les payer", assène le prévenu, accusant à son tour: les victimes auraient porté plainte contre lui pour obtenir un titre de séjour. "Les Marocains sont capables de tout pour les papiers."

Son avocate, Me Hélène Bredin-Kuilagi, affirme qu'"il n'y a aucun élément" permettant de prouver que les victimes ont payé les 12.000 euros. À ses yeux, le titre de séjour de 10 ans que les victimes peuvent obtenir si elles sont reconnues comme telles par la justice, constitue "un élément évident" de leur démarche.  

Plaidant la relaxe, elle pointe des auditions en garde à vue où "les personnes ont dit mot pour mot les mêmes choses".

"On va bientôt nous parler d'une bande organisée de victimes!", rétorque l'avocate de deux d'entre elles, Me Mylène Da Ros.

Avec son confrère Jean Trebesse, elle a réclamé pour chacune 12.000 euros de préjudice financier, 10.000 euros de préjudice moral et 5.000 euros pour n'avoir pas pu travailler comme prévu.

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