Crédit : GDMpro S.R.O. / Adobe Stock

La Serbie retient son souffle avant une manifestation sous haute tension

Après des mois de manifestations pacifiques contre la corruption, la Serbie se prépare dans une ambiance explosive samedi à l'un des plus grands rassemblements des dernières décennies, des dizaines de milliers de personnes étant attendues à Belgrade où le pouvoir a regroupé de son côté ses soutiens.
À voir également sur Brut

Vendredi soir, ils étaient déjà des dizaines de milliers - 31.000 selon le ministère de l'Intérieur, a accueillir dans une ambiance festive les manifestants venus à pied, en vélo ou en tracteur de toute la Serbie.  

Les manifestations s'enchaînent dans le pays depuis l'accident de la gare de Novi Sad le 1er novembre, qui a fait 15 morts, lorsque s'est écroulé l'auvent en béton du bâtiment tout juste rénové.

La colère a explosé, les manifestants voyant dans cet accident la preuve d'une corruption qui selon eux entâche les institutions et les travaux publics. De semaine en semaine, le mouvement est devenu l'un des plus importants de l'histoire récente de la Serbie, avec des manifestations quotidiennes.

Mais les rassemblements se sont tendus depuis que le gouvernement a accusé les protestataires d'être payés par des agences étrangères, de préparer des actions violentes voire une révolution, notamment lors de la mobilisation de samedi dans la capitale. 

La situation a même fait réagir l'ONU, qui a appelé les autorités serbes à ne pas "interférer indûment" dans la manifestation et à "respecter l'exercice complet des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'expression".

"Nous sommes un pays extrêmement démocratique", a répondu dans la soirée de vendredi, lors d'une allocution, le président serbe Aleksandar Vucic, affirmant: "Nous ferons tout ce que nous pouvons pour sécuriser le rassemblement". Et d'ajouter aussitôt: "Pour être clair, je suis le président de ce pays, et je ne laisserai pas la rue dicter les règles".

Pendant que le président parlait, des dizaines de policiers anti-émeutes étaient visibles dans le centre de Belgrade.

"Il n'y aura pas de violences", assurait, confiante, Tijana Djuric, une étudiante de 20 ans venue accueillir les manifestants, "parce que nous sommes tous ici pour la même raison, pour attendre ceux qui sont venus à pied, ceux qui libèrent la Serbie".

Dans un communiqué diffusé sur les réseaux, les étudiants ont appelé à manifester "dans le calme et de façon responsable". "L'objectif de ce mouvement n'est pas l'incursion dans des institutions, ni d'attaquer ceux qui ne pensent pas comme nous (…) Ce mouvement ne doit pas être utilisé à mauvais escient", ont-ils écrit.

La manifestation doit commencer à 16h devant le Parlement et se disperser à 21h. 

Des milliers de manifestants anti-corruption en Serbie pour la fête nationale

Montée des tensions

Le gouvernement a annoncé vendredi après-midi l'arrestation de six militants soupçonnés de préparer "des actes contre l'ordre constitutionnel et la sécurité de la Serbie".

"On voit déjà depuis quelques jours que le régime essaie de faire monter les tensions", analyse Srdjan Cvijic, du Belgrade Centre for Security Policy.

Ainsi, des dizaines de tentes sont apparues devant le bâtiment de la présidence: un campement de soutiens présentés comme des étudiants réclamant de retourner en cours. Mais des militants ultranationalistes connus ont été aperçus entre les tentes, et des dizaines de tracteurs se sont installés autour.

"Ce que tout le monde se demande, continue M. Cvijic, c'est si le gouvernement va essayer de créer des situations de violence pour ensuite avoir une excuse pour décréter l'état d'urgence".

"Jusqu'à présent, on a vu un mouvement qui n'est pas du tout violent (...)  je pense que les manifestants garderont leur calme", estime le chercheur.

"Je crois que le 15 mars démontrera l'insatisfaction profonde des étudiants et des citoyens", avance Maja Kovacevic, présidente de la faculté de sciences politiques de Belgrade. 

"À cet égard, je pense que ce sera une date importante, mais je ne crois pas qu'on doive suggérer que ce sera une sorte de tournant dans le mouvement, ou qu'il y aura un scénario de type +6 octobre+ par la suite", poursuit la professeure, dans une allusion au 6 octobre 2000, lendemain d'une manifestation qui précipita la chute de l'ex-président Slobodan Milosevic.

À l'époque, "la situation sociale, économique et internationale était très différente", abonde M. Cvijic, citant notamment le fort soutien international aux manifestants de l'époque. Il estime cependant "qu'on peut imaginer une situation ou cela marquerait le début de la fin" pour le pouvoir actuel.

Étudiants, larmes et mains ensanglantées : 5 choses à savoir sur les manifestations en Serbie

A voir aussi