Le film "Ana Hona" (Je suis ici, en arabe) suit Randa El-Taher et son amie Bekheita Abdallah, qui dirigent le projet "Talking Hands" (Parler avec les mains) en soutien aux femmes et enfants sourds déplacés par la guerre.
Depuis avril 2023, le Soudan est plongé dans un conflit pour le pouvoir qui a fait des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés, et ravagé les infrastructures déjà fragiles du pays, l'un des plus pauvres du monde.
Réalisé par Eithar Khairy, 28 ans, "Ana Hona" raconte un univers où femmes et enfants sourds ne sont plus marginaux. Pour cette ancienne médecin devenue cinéaste, l'expérience a été "difficile mais incroyablement enrichissante".
Le projet offre "un espace sûr où les enfants peuvent jouer (...) et apprendre", explique Mme Taher, instructrice sourde communiquant avec ses élèves via le langage des signes.
"Ana Hona" est l'un des trois courts métrages produits par un groupe de onze cinéastes amatrices soudanaises formées à Port-Soudan (est) par Mohamed Fawi, un réalisateur de 35 ans.
Il est à l'origine du projet "Cinemat Banat" (Cinéma pour filles), qui vise à donner une voix aux Soudanaises.
"Après le déclenchement du conflit, je me suis senti obligé de poursuivre mon projet au Soudan", confie-t-il à l'AFP.
Son programme a permis aux participantes de maîtriser les techniques du cinéma, de l'écriture de scénario à la réalisation, et même la post-production, en utilisant l'outil le plus accessible: leur smartphone.
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"Modèle de coexistence pacifique"
Fuyant Khartoum, où s'affrontent l'armée régulière et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), M. Fawi a rallié Port-Soudan, devenu le siège de facto du gouvernement après que les autorités ont été chassées de la capitale.
"Comme nous avons perdu notre équipement à Khartoum, notre seule option était donc les smartphones", explique-t-il.
Réalisé par Areej Hussein, 26 ans, "Toknan" (Connaissance, en bédouin), un autre des documentaires produits, en cinq mois, suit des femmes de la tribu Beja dans l'est du pays apprenant à lire et à écrire mais aussi à fabriquer de l'encens, des parfums, des vêtements brodés, tout en naviguant sur les réseaux sociaux pour commercialiser leurs créations.
Dans une salle de classe, leur enseignante, Nafisa Ahmad, les guide d'une voix calme mais ferme vers la promesse d'un avenir meilleur.
"Avec l'éducation, nous pouvons nous ouvrir et sortir du confinement" de la guerre, explique cette enseignante qui lutte contre l'analphabétisme chez les femmes de cette communauté.
"Nous avons filmé pendant sept jours 32 heures de séquences, que nous avons ensuite condensées en 18 minutes", relate la photographe Tasabih Hussein, 22 ans.
Le troisième film, "Oumm Al Fouqara" (Mère des pauvres, en arabe), raconte l'histoire d'une femme qui transforme un centre soufi à la périphérie de Port-Soudan en refuge pour les personnes déplacées.
La réalisatrice, Zaïnab Alfadel, 29 ans, montre comment la structure fait également office de lieu culturel où les danses traditionnelles ravivent un sentiment d'identité et d'appartenance. "C'est un modèle de coexistence pacifique", explique cette ingénieure chimiste de formation.
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"Ce n'est que le début"
Le cinéma soudanais avait commencé à gagner une reconnaissance internationale avant la guerre avec des films comme "You Will Die at Twenty" (Tu mourras à 20 ans) d'Amjad Abou Alala, sélectionné pour les Oscars en 2020 et "Goodbye Julia" de Mohamed Kordofani présenté dans la section "Un certain regard" au festival de Cannes.
Pour Mohamed Fawi, le succès de son projet réside dans la détermination des participantes. "Normalement, produire un documentaire prend plus d'un an, mais ces femmes ont réussi à créer le leur en quelques mois seulement", et souhaitent désormais s'investir dans de nouveaux tournages, salue-t-il.
Il prévoit une deuxième série de formations pour des femmes cinéastes et espère susciter une nouvelle génération de narrateurs au Soudan. "Ce n'est que le début", dit-il.