Publié dans Science Advances mercredi, un article rend compte des avancées de l'étude Remember, lancée par l'Inserm et la plateforme d'imagerie Cyceron, à Caen, dans le cadre d'un programme étudiant la construction et l'évolution de la mémoire des attentats du 13 novembre 2015.
Il y a dix ans, ces attentats qui ont fait 130 morts et plus de 350 blessés dans la salle du Bataclan et aux terrasses de bars et de restaurants à Paris, ainsi qu'à Saint-Denis, ont durablement traumatisé le pays et laissé des survivants qui souvent peinent à se reconstruire.
Trois d'entre eux se sont suicidés, dont en mai 2024 Fred Dewilde, rescapé du Bataclan et pilier de l'association Life For Paris, qui évoquait le "sournois poison répandu par les terroristes".
Depuis 2015, 120 personnes exposées à ces attentats - victimes, intervenants, endeuillés... - et 80 non-exposées sont suivies par l'étude, qui compare leurs résultats d'imagerie cérébrale.
Celle-ci explore les effets de l'événement traumatique sur les structures et le fonctionnement de leur cerveau, identifiant des marqueurs neurobiologiques du stress post-traumatique mais aussi de la résilience au trauma.
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"Trouble de l'oubli"
Les personnes ayant un stress post-traumatique (PTSD) souffrent de "mémoires intrusives" - images effrayantes, odeurs, sensations - associées au traumatisme vécu. Ces dernières sont traditionnellement attribuées à un dysfonctionnement de la mémoire: à l'image d'un disque vinyle rayé rejouant en boucle les mêmes fragments de souvenirs.
En 2020, l'équipe dirigée par Pierre Gagnepain émettait une hypothèse novatrice: "Si les personnes n'arrivent pas à oublier une image intrusive, c'est à cause de la défaillance d'un mécanisme d'inhibition et de contrôle, un trouble de l'oubli", explique le chercheur à l'AFP. "Pour revenir à la métaphore du tourne-disque: c'est le bras de lecture qui ne fonctionne pas".
Ce mécanisme "mobilise des régions frontales du cerveau qui ont pour fonction de venir inhiber et interrompre l'activité de l'hippocampe, une petite zone très importante pour l'expression de la mémoire", précise-t-il.
Pour étudier la résurgence des souvenirs intrusifs sans faire subir aux volontaires l'épreuve du visionnage d'images chocs des attentats, les scientifiques ont utilisé un protocole de recherche en imagerie cérébrale basé sur la méthode think/no-think.
Les participants ont appris des paires de mots associés à des images, comme le mot "table" avec l'image d'un ballon, puis ils ont dû, en voyant le mot "table", tantôt visualiser l'image associée de façon détaillée, tantôt la supprimer de leur conscience. Des clichés IRM réalisées sur le moment ont permis d'étudier leur connectivité cérébrale.
Ces études d'imageries cérébrales ont été réalisées en 2016/2017 puis en 2018/2019 afin d'observer les évolutions du cerveau au fil du temps. Puis les participants ont répondu à un questionnaire sur leurs éventuels symptômes en 2020/2021.
Chez certains souffrant de stress post-traumatique, le dysfonctionnement des mécanismes permettant de faire face au trauma s'est maintenu.
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"Nouvelles thérapies"
Mais chez d'autres il s'est normalisé, avec une diminution des symptômes de stress post-traumatique, mesurée par le questionnaire.
En imagerie cérébrale, cela s'est traduit par une action plus efficace des régions préfrontales pour inhiber l'activité hippocampique et empêcher l'accès aux souvenirs intrusifs.
"Ces mécanismes de contrôle semblent avoir une fonction très importante pour la résilience: celle de réduire les effets négatifs du stress sur le cerveau", explique M. Gagnepain.
Ainsi la résilience "n'est pas innée, même s'il y a des facteurs qui la favorisent. Elle peut se développer et s'acquérir", résume le chercheur. "Initialement on avait des gens qui n'étaient pas résilients et qui le sont devenus en quelque sorte par le biais de la mobilisation de ces mécanismes de contrôle".
Parmi les implications intéressantes, "on pourrait imaginer de nouvelles thérapies, complémentaires à celles déjà utilisées, pour venir stimuler les mécanismes de contrôle de la mémoire", estime le chercheur.
Cela aurait pour avantage "d'agir sur les réseaux cérébraux sans agir sur le système émotionnel et sans faire revivre les émotions traumatiques au patient", imagine-t-il.
Son équipe travaille désormais sur un récepteur cérébral principalement localisé au sein de l'hippocampe, qui pourrait être impliqué dans l'oubli et la mise sous silence des souvenirs - et devenir un jour, une cible thérapeutique.