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"Sommes-nous des chiens ?" : des familles dénoncent les exécutions d'étrangers en Arabie saoudite

"Mon mari a eu un procès inéquitable", affirme à l'AFP Noura Fouad, une Egyptienne dont le conjoint a été exécuté en Arabie saoudite. Cinq ans plus tard, elle réclame toujours sa dépouille pour lui offrir une sépulture et se recueillir sur sa tombe.
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Son époux, Moammar Kadhafi  - du nom de l'ancien dirigeant libyen -, a été exécuté en janvier 2020 après avoir été reconnu coupable de trafic de drogue, un crime puni par la mort dans le royaume du Golfe.

"Mon mari a été piégé par des trafiquants. Il était intègre, et son casier judiciaire en Egypte était vierge", explique à l'AFP par téléphone, Noura, mère de trois enfants.

M. Kadhafi transportait des légumes entre l'Egypte et le nord de l'Arabie saoudite, lorsqu'il a été arrêté en août 2017. 

Son épouse n'a pu lui parler qu'après un mois et n'a jamais obtenu de permis de visite, faute de visa.

Faute de moyens pour un avocat privé, la défense a été assurée par un avocat commis d'office, a-t-elle affirmé, dénonçant "un procès inéquitable". Son mari, a-t-elle ajouté, "espérait seulement être entendu".

Et elle n'a jamais pu lui dire adieu.

"Nous avions appris son exécution par ses collègues, puis par les médias", raconte-t-elle, la gorge nouée.

"Je suis allée à l'ambassade saoudienne au Caire pour réclamer son corps et ses effets personnels, mais personne ne m'a aidée". Six mois plus tard, elle a récupéré son certificat de décès, son passeport et son testament, mais pas ses restes.

"Sommes-nous des chiens pour être traités ainsi ?".

Sollicités par l'AFP, les autorités saoudiennes n'ont pas donné suite. 

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"Trop tard pour intervenir"

Cent vingt-neuf étrangers ont été exécutés en Arabie saoudite en 2024, dont 85 pour trafic de drogue, selon un décompte de l'AFP basé sur des chiffres officiels. Ce chiffre, en forte hausse par rapport aux 34 exécutions menées en 2022 et aux 34 enregistrées en 2023, a suscité de vives critiques des défenseurs des droits humains.

"Les exécutions d'étrangers s'intensifient sans notification préalable aux condamnés, à leurs familles ou à leurs avocats", dénoncent Morris Tidball-Binz, rapporteur spécial de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires, et Alice Jill Edwards, rapporteuse spéciale sur la torture.

"Dans 99 % des cas documentés, les accusés n'ont pas eu accès à un avocat", affirme Joey Shea, de Human Rights Watch. "Et lorsqu'ils en ont eu un, il était commis d'office et n'a pas véritablement défendu ses clients", ajoute-t-elle.

"Les étrangers sont souvent en situation de vulnérabilité et nécessitent des garanties spécifiques, comme une assistance consulaire", soulignent les deux experts de l'ONU.

Or, un diplomate étranger basé à Ryad déplore sous couvert d'anonymat "le manque de transparence" des autorités saoudiennes. "Nous ne recevons pas systématiquement d'informations sur les procès. Parfois, elles nous parviennent trop tard pour intervenir", explique-t-il.

Privés d'enterrement

L'Arabie saoudite a exécuté 338 personnes en 2024, contre 170 l'année précédente.

Une augmentation qui contredit les déclarations du prince héritier Mohammed ben Salmane, qui avait affirmé en 2022 à The Atlantic que la peine de mort serait désormais limitée aux crimes graves.

Depuis la fin d'un moratoire il y a près de trois ans, les exécutions pour trafic de drogue ont repris.

Environ 75 % des condamnés exécutés en 2024 pour trafic de drogue sont des étrangers, notent les experts de l'ONU, qui dénoncent "des procès loin des standards internationaux".

Un diplomate arabe ayant suivi ces affaires nuance cependant: "Je ne pense pas qu'il y ait de discrimination systématique contre les étrangers", dit-il, ajoutant avoir vu "des Saoudiens condamnés à mort et des étrangers acquittés".

A Karachi, au Pakistan, Amina, mère de six enfants, attend toujours le corps de son mari exécuté en Arabie saoudite en 2022. "Il a été condamné alors qu'il avait prouvé qu'il était absent des lieux du crime", déclare-t-elle à l'AFP.

"Tout ce que nous demandons, c'est son corps. Nous voulons lui offrir une sépulture digne et nous recueillir sur sa tombe. Même ce droit nous est refusé", conclut-elle.

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