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Violences sexuelles: la prescription en débat

Rendre les violences sexuelles imprescriptibles permettrait-il à plus de victimes d'accéder à la justice ? Réclamée de longue date par de nombreuses associations, l'imprescriptibilité fait toujours débat, certains experts craignant des effets délétères. 
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"Il faut collectivement porter un message fort, dire aux bourreaux qu'ils pourront toujours être poursuivis" pour les crimes sexuels, estime auprès de l'AFP Arnaud Gallais, cofondateur de l'association Mouv'enfants. "La prescription est une injonction au silence", qui "résonne avec l'impunité" des agresseurs.


Dans l'affaire de Bétharram, au coeur de l'actualité cette semaine, le collectif des victimes recense plus de 140 dénonciations pour des violences sur un demi-siècle, dont près de 70 relatives à des faits d'ordre sexuel, des faits très souvent prescrits.


Dans le droit français, seuls les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles. En justice pénale, le délai de prescription pour un viol est de 30 ans à compter de la majorité de la victime et de 20 ans à partir des faits si elle était majeure. Les délais sont plus courts pour les agressions sexuelles.


Une proposition de loi d'Aurore Bergé, ministre de l'Egalité femmes-hommes, vise à rendre imprescriptibles au civil les viols sur mineurs, alors que le délai de prescription actuel est de 20 ans, à partir de la "consolidation" - le moment où la victime est psychiquement stabilisée.


De quoi "garantir aux victimes un accès à la justice", tout en conservant "l'exception" de l'imprescriptibilité au pénal pour les crimes contre l'humanité, souligne la ministre auprès de l'AFP. L'idée a été rejetée par les députés mais pourrait être débattue en avril par les sénateurs.

Crimes "dissimulés"


Pour Violaine de Filippis, cofondatrice de l'association Action juridique féministe, "l'urgence" reste toutefois de supprimer la prescription des violences sexuelles au pénal. Le civil, où le ou la plaignante doit apporter les preuves, permet surtout d'obtenir des dommages et intérêts, ce qui "n'est pas la motivation des victimes".


Les délais actuels de prescription sont parfois trop courts pour saisir la justice, selon l'avocate Carine Durrieu-Diebolt. "Les crimes sexuels ont la spécificité de pouvoir être dissimulés pendant des années, soit parce que les victimes présentent une amnésie traumatique ou simplement une fragilité induite par le traumatisme, soit parce qu'une omerta a été organisée pour les +silencier+, comme dans l'affaire abbé Pierre", dit-elle.

Violences conjugales: plus de 40% des affaires classées sans suite


"L'abolition des délais de prescription est la demande la plus formulée" par les victimes, constate la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) dans un rapport de 2023. Sur 27.000 témoignages collectés, 75% concernait des faits prescrits. 


Plutôt que d'envisager l'imprescriptibilité de ces crimes, "il faut laisser la justice pénale se mettre à l'épreuve des textes, laisser la jurisprudence se dessiner pour voir ensuite s'il y a une difficulté ou non", fait valoir toutefois l'avocate pénaliste Marie Dosé. 

Manque de moyens


La loi Schiappa de 2018, qui a allongé de dix ans le délai pour les viols sur mineurs, "commence seulement à arriver devant les tribunaux", rappelle l'avocate. Non rétroactive, elle ne s'applique qu'aux faits non encore prescrits à sa promulgation.


Autre problématique: si les violences sexuelles devenaient imprescriptibles, la justice serait-elle capable de se prononcer sur des cas anciens ?


"Cela risque de créer de faux espoirs chez les victimes" en raison de la difficulté à prouver les faits des décennies après, relève Daniel Pical, représentant de l'Association internationale des magistrats de la Jeunesse et de la Famille auprès du Conseil de l'Europe. "Les témoins, s'il y en a, auront peut-être disparu, les preuves matérielles aussi. Si l'intéressé nie, ce sera parole contre parole".


Pour Carine Durrieu-Diebolt, toutefois, "la preuve des faits n'est pas une question de temps, certains dossiers sont prouvables même des années plus tard", avec par exemple des messages, anciens ou récents, les évoquant.


"Malheureusement, on n'a pas le luxe de se dire qu'on peut enquêter sur des affaires vieilles de 30 ans", constate pour sa part Aurélien Martini, secrétaire général adjoint de l'Union Syndicale des Magistrats (USM). Ce type de mesure est "envisageable dans un système judiciaire qui fonctionne bien", ajoute-t-il, en soulignant l'augmentation du volumes d'affaires à traiter qu'engendrerait l'imprescriptibilité.


Le "fléau" des violences sexistes et sexuelles examiné dans un rapport sous relation d'autorité

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