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Rencontre avec l'écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie

"Il y a un fort sentiment de peur que ressentent les immigrants. On veut réussir." À l'occasion du Festival d'Avignon, Brut a pu rencontrer l'écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie. On en a profité pour parler avec elle, de sa découverte des États-Unis en tant que femme nigériane, de son processus d'écriture et de ce qui caractérise les "bons écrivains". Discussion.
Publié le
16
/
07
/
2023

Être une personne noire aux États-Unis 

Il y a un passage dans Americanah qui s'inspire d'une histoire qui m'est arrivée. Quelqu'un m'avait demandé, au téléphone, d'où je venais. J'ai répondu : "Du Nigeria." “Mais vous n'avez pas grandi là-bas?" “Oh, mais on dirait que vous êtes américaine !" Et moi, j'ai dit : “Merci." Quand je repense à ce moment, j'ai tellement honte. Pourquoi remercier quelqu'un qui me fait remarquer que je me suis éloignée de la personne que je suis vraiment ? Je me suis dit qu'il fallait que j'arrête de faire ça”. L’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, originaire d'Abba, est arrivée aux États-Unis à l’âge de 19 ans. Dans son livre Americanah, elle explore à la perfection la notion d’identité ethnique par une personne qui est née et a grandi en Afrique. Lorsqu’elle débarque aux États-Unis, Chimamanda Ngozi Adichie vit cette expérience comme une déception lorsqu’elle sort de l’aéroport et découvre que la ville ne “brille pas beaucoup”. “Pour moi, l'Amérique, il fallait que ça brille, mais ça n'était pas le cas.”, explique-t-elle. 

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Rapidement, elle intériorise tous les stéréotypes en rapport avec sa couleur de peau. “Je pensais que la meilleure façon de ne pas les subir, c'était de dire ‘je ne suis pas noire. Je suis nigériane, je suis igbo, je suis africaine.’ Je crois maintenant que je le faisais par peur. Il y a un fort sentiment de peur que ressentent les immigrants. On veut réussir et parfois, on se dit que la seule chose qui compte dans nos décisions, c'est la réussite.” Quelques mois plus tard, alors qu’elle entre dans la faculté de Philadelphie, elle se souvient de l’expression du visage de son professeur face à la dissertation de Chimamanda Ngozi Adichie, qui était la meilleure. “Je n'oublierai jamais son expression. C'était très furtif, mais j'ai vu son air surpris. C'est à ce moment-là que j'ai compris ce que ça signifiait d'être noir aux États-Unis. Les gens réduisent constamment leurs attentes envers vous. Les gens minimisent ce que vous êtes capable de faire et d'être. À ce moment-là, je me suis dit : ‘Hors de question que j'accepte ça. Jamais.’ Je crois que c'est aussi à ce moment que j'ai commencé à dire : ‘Je suis noire.’ 

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L’honnêteté radicale, une idée capitale

Pour Chimamanda Ngozi Adichie, la “vérité peut recouvrir beaucoup de choses”. “Quand on raconte des histoires, surtout aujourd'hui, avec les réseaux sociaux et la question de la réception, il y a une tendance à l'autocensure et à la retenue. Pour moi, ça détruit l'art et la créativité. Je crois à la vérité et à une honnêteté radicale. Il faut un courage artistique : vous savez que, peut-être, certains n'apprécieront pas ce que vous faites, mais vous devez rester fidèle à la vérité de votre personnage, de votre histoire, de votre vision des choses. Dire la vérité. C'est assez difficile à définir, mais on la reconnaît quand on la voit.”

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Lorsqu’elle écrit une histoire, l’écrivaine ne commence jamais par le thème mais s'aide de différentes notions telles que l’humour, le ton, le caractère, la voix. “Pour un artiste, je ne crois pas que la notion de thème aide beaucoup à avancer. En tout cas, pas pour moi.”, poursuit-t-elle. Et lors de l’écriture de ses histoires, certaines la hantent comme cela fut le cas avec son roman L'Autre Moitié du soleil. “Pour mon roman L'Autre Moitié du soleil, toute cette période de l'histoire du Nigeria, pendant la guerre du Biafra, et racontée pour la première fois par mon père, à l’âge de huit ans, me hantait. Je devais avoir huit ans. Je ressentais presque une sorte de mission sacrée. Je devais le faire, mais je repoussais, parce que je n'étais pas sûre d'être prête. Pour Americanah, mon roman le plus récent, je ne me sentais pas hantée. Écrire sur cet endroit qui était devenu ma deuxième maison, cet endroit plein de contradictions. Et surtout, je voulais écrire sur cette nouvelle identité, qui m'avait été donnée en Amérique.” 

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Ravie que son travail traverse les frontières et soit apprécié par beaucoup, elle explique néanmoins n’avoir jamais voulu être sur un piédestal. “Je suis la fille de James et Grace Adichie. Je suis la petite-fille de Regina et Agnes et l'arrière-petite-fille d'Omeni. Je sais faire face. Je ne vais pas trahir celle que je suis. C'est impossible. Je suis très touchée que mon travail parle aux gens partout dans le monde, mais je n'ai jamais voulu être mise sur un piédestal, parce que ma crainte, c'est que si on vous met trop haut, vous ne pouvez que retomber. Quand j'ai dit que les femmes trans étaient des femmes trans, j'ai été très surprise par cette hostilité, à laquelle je ne m'attendais pas, surtout venant de personnes dont je pensais qu'elles me connaissaient et qu'elles savaient, j'espère que ce n'est pas trop naïf de dire ça, que je ne pensais pas à mal. Ça m'a appris que la position sociale, ce n'est pas quelque chose qu'on peut contrôler. Il ne faut pas trop s'y fier. Vous ne pouvez pas vous lever tous les matins et vous dire : ‘Je suis une icône, je compte pour les gens et c'est ce qui me définit.’ Ce n'est pas quelque chose que vous maîtrisez.”

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