Comment lutter contre le découragement, par Fabrice Midal

BRUT PHILO — Le découragement, c’est le sentiment de beaucoup face au monde actuel. Le philosophe Fabrice Midal l’a aussi expérimenté au cours de sa vie. Voilà comment, selon lui, on peut retrouver de l’élan.

J'étais un très mauvais élève. J'étais prisonnier dans mon parcours scolaire par l'idée que faire ce qu'on me disait de faire, réussir année après année, allait m'apporter le succès et la réussite. Je vivais avec des ornières. Quoi que je fasse, j'échouais. J'ai passé les concours cinq fois. Cinq fois, j'ai échoué lamentablement. Comme j'étais dans mon tunnel, les milliers d'autres chemins qui existaient, je n'en avais même pas l'idée. Et c'est en acceptant d'arrêter cette obsession de rentrer dans le moule que d'un seul coup, j'ai vu plein d'autres chemins, que j'ai commencé à écrire des livres, que je suis devenu éditeur, que je suis devenu YouTubeur. Des tas de choses que je n'aurais jamais pu voir dans ma petite autoroute et qui sont apparues comme étant des occasions de devenir plus vivant”. Fabrice Midal est philosophe et auteur de La Théorie du bourgeon. Il nous explique.

Brut Philo : penser contre soi-même


“Nous sommes en train d'être pris par un aveuglement en oubliant la vie”


“Le cœur de mon livre, c'est d'essayer de partir de la vie : mais qu'est-ce que c'est que le fait d'être vivant ? Il y a un malentendu philosophique aujourd'hui. On a l'impression qu'être un être humain, c'est d’arriver à contrôler parfaitement tout. Et ça, c'est inhumain. C'est vraiment une des clés de la barbarie de notre monde. Il faut tout gérer : gérer son stress, ses émotions, ses affects, potentialiser notre capital santé. Nous sommes en train d'être pris par un aveuglement en oubliant la vie. Nous avons comme horizon une sorte de modèle d'une rationalité irrationnelle, d'un contrôle sur l'ensemble de la réalité qui va nous emmener droit dans le mur. Et Nietzsche, Bergson, Kierkegaard, très différents, dans des pays différents, sans s'être lus, disent exactement ce même point même point : Qu'est-ce que ça veut dire qu'être vivant, que prendre le risque de la liberté, de sortir des routes, entièrement, des autoroutes, de la pensée. Et que c'est ça qui serait la perspective pour nous d'être vivants” explique Fabrice Midal. 

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“Aujourd'hui, c'est le monde tout entier qui est en train d'être en burn out”


On voit, un siècle après leur engagement et leurs livres de philosophie, à quel point ils ont été prophètes. Il y a quelque chose de prophétique dans leur pensée, parce qu'aujourd'hui, c'est le monde tout entier qui est en train d'être en burn out. C'est pas seulement les individus, c'est la Terre. Or, qu'est-ce que c'est le burn out ? C'est l'instrumentalisation d'abord de soi-même, jusqu'au moment où on éclate, c'est-à-dire le non-respect de la vie, la non-écoute de la vie en nous. On s'instrumentalise et on explose. Et aujourd'hui, c'est la Terre entière qui est en train de faire un burn out tellement nous sommes dans un rapport obsessionnel de rentabilité envers elle. Et c'est ça que nous permet de comprendre la philosophie” ajoute le philosophe. 

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Il invite n’importe quoi à développer son septième sens, cette “capacité à entrer en résonance avec les situations et avec les choses”. “On a tous cette capacité-là. Alors après, évidemment, on veut tellement être efficace, tellement rentrer dans le moule. On se coupe tellement de notre corps. On veut tellement être dans la tête. On veut tellement tout comprendre qu'on le perd, on l'oublie, on l'abandonne. (…) On peut s'entraîner par des petits exercices à entrer en relation avec un arbre, une forêt, le ciel. Ce sont des petits gestes tout simples qui nous réapprennent. Moi, par exemple, tous les matins, quand je me lève, avant de faire quoi que ce soit, je regarde, mais même 30 secondes, le ciel ou la nuit, et j'essaye juste de sentir comment je me sens devant le spectacle du monde par ma fenêtre. Et j'essaye d'ouvrir mon septième sens. Vous voyez, c'est d'une banalité complète, mais c'est une banalité absolument merveilleuse à redevenir vivants et que c'est la clé pour sortir du découragement”. 

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Aujourd’hui, la multiplicité des choix partout nous entraîne à perdre la capacité de pouvoir être libres”


Je crois important d'avoir une lecture philosophique du découragement et comprendre que c’est un problème structurel. Nous sommes découragés parce que l'univers dans lequel nous sommes nous donne le sentiment d'être complètement impuissants par cette domination de la gestion et du contrôle qui fait que par rapport à ça, on a l'impression qu'on n'arrivera jamais. On a l'impression qu'on ne sera jamais assez forts, assez efficaces, assez performants, qu'on n'aura pas assez bien géré son stress, ses émotions. On se sent honteux d'être un être humain donc on est découragés parce qu'on a honte d'être humains. Puis, deuxième axe du découragement : cette nouvelle société dans laquelle nous sommes, qui est entièrement construite sur le vol de notre attention, les réseaux sociaux, l'ensemble de nos téléphones, etc. Notre capacité à faire attention a énormément diminué. Les études sur le cerveau humain montrent de manière absolument indiscutable et stupéfiante que nous perdons chaque année la capacité à être attentifs à ce qui se passe, qu'on est de plus en plus impatients. On a de moins en moins de capacités à être attentifs, à savoir attendre et cela nous ronge de l'intérieur et participe de notre découragement”

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Choisir, quand on a cinq choix, c'est possible. Quand on a dix chaînes de télévision, on peut encore choisir. Quand on en a 100, on n'arrive plus à choisir. On est obligés de déléguer la capacité de choisir. Or, on voit aujourd'hui que la multiplicité des choix partout nous entraîne à perdre la capacité de pouvoir être libres et de pouvoir choisir. Donc, l'analyse philosophique de la situation sommes dans notre monde nous permet de comprendre pourquoi le découragement est structurel et nous permet de que la réponse au découragement, c'est d'apprendre à redevenir humain, à retrouver une capacité de savoir ce qu'on aime, ce qu'on veut, ce qu'on sent, ce qu'on désire, de revenir à quelque chose qui nous habite, de refaire alliance avec la vie qui est là, justement instrumentalisée, et la vie instrumentalisée, ce n'est plus la vie” conclut le philosophe.

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