Brut Philo — Le marketing du "sans" par Mazarine Pingeot

BRUT PHILO - Sans sucre, sans gluten, sans huile de palme... Le marketing du “sans” permet de vendre plus cher un produit qui compte pourtant un ingrédient en moins. Dans son livre "Vivre sans : une philosophie du manque", Mazarine Pingeot s’intéresse à ce que cela dit de notre société.

“Sans gluten. Sans sulfates. Sans sucre. Comment ça se fait qu'aujourd'hui, on nous vende des produits sans quelque chose ? Comment on a réussi, dans un tour de passe-passe absolument génial et admirable, à nous vendre de l'absence ?” C’est ce qu’interroge Mazarine Pingeot, autrice du livre Vivre sans: une philosophie du manque. Elle explique : “Maintenant, on fait de l'alcool sans alcool, sans des ingrédients qui sans doute étaient nocifs et ce "sans" s'explique d'abord par une forme de production plus éthique, donc il y a évidemment un aspect tout à fait positif à l'idée du sans, mais néanmoins, il y a quand même cette idée que, forcément, un produit sans huile de palme coûte beaucoup plus cher qu'un produit avec huile de palme. Alors, c'est un produit plus éthique, c'est un produit meilleur pour la santé, mais ce qui est entendu, c'est d'abord l'absence de quelque chose”

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“On a l'impression aujourd'hui que la question éthique est soluble dans le capitalisme”


Tout à coup, sur les étiquettes avec ce "sans", on a découvert un nombre d'ingrédients faramineux, dont on ignorait totalement l'existence, qui masquent l'existence des autres ingrédients, puisque lorsqu'on a un produit sans huile de palme, on ne va pas regarder ce qu'il y a derrière. Ce qui nous intéresse, c'est l'absence, ce n'est pas la présence et donc c'est aussi, je pense, une manière de minorer la composition des produits. Alors, c'est, encore une fois, évidemment, je le répète, parce qu'il faut quand même revenir au bon sens, c'est quand même la garantie d'un produit qui est meilleur pour la santé, mais ce qui me dérange, c'est qu'on a l'impression aujourd'hui que la question éthique est soluble dans le capitalisme” déclare Mazarine Pingeot. 

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On arrive à nous vendre quelque chose qui n'existe pas. Soit c'est quelque chose qui n'existe pas, à savoir, justement, ces ingrédients qu'on peut juger nocifs pour la santé, soit c'est carrément ce pour quoi on achète un produit c'est-à-dire un savon sans savon, une pâtisserie sans sucre, sans beurre, une bière sans alcool... Et donc on arrive à nous vendre quelque chose, qui est un ersatz, bien sûr, qui nous promet l'absence de dangerosité tout en gardant néanmoins le goût, et donc, d'une certaine manière, ce qui marche dans cette espèce d'alchimie, c'est qu'on continue à nous pousser à consommer, avec en prime une forme de bonne conscience, une bonne conscience éthique, écologique. Ce qui fait que la bonne conscience, la morale, l'éthique, la morale, l'éthique, voire l'engagement écologique ont été récupérés par le marché. Et donc le tour est joué”.

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Le capitalisme récupère tout, y compris le rien”


Pour Mazarine Pingeot, “le capitalisme récupère tout, y compris le rien. Moi, ce n'est pas le capitalisme en soi qui me pose un problème dans la mesure où, pour l'instant, et jusqu'à preuve du contraire, on n'a pas encore trouvé mieux. C’est pas génial mais c'est pas comme s'il y avait des milliards d'alternatives. En revanche, ce qui m'inquiète, c'est sa prétention quasiment totalitaire de s’immiscer dans tous les domaines de la vie, dans le domaine de l'amour, dans le domaine de la politique. Maintenant, on consomme de la politique. Dans le domaine de la culture, on consomme de la culture. Et j'ai l'impression qu'il faudrait a minima essayer de trouver ou de sauvegarder des bulles, des espaces, de les sanctuariser pour qu'ils ne soient pas envahis par cette logique capitaliste. La satisfaction des désirs par la consommation ou la satisfaction de la pensée par les biens culturels, il me semble que ça ne suffit pas et que si on n'est pas satisfait, c'est précisément qu'il y a quelque chose d'autre, et quelque chose de plus important, et peut-être qu'il y a même quelque chose de plus important que le bonheur. Alors si, en plus, on est heureux, tant mieux, mais il y a autre chose à chercher”. 

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Pour revenir sur cette obsession pour la santé qui est une idée sous-jacente à la mise en valeur de l'absence de produits ou d'ingrédients dits toxiques, Mazarine Pingeot considère que “cette obsession est assez inquiétante. D'abord, elle peut expliquer, par exemple, la politique du confinement, qui peut-être était inévitable, je ne suis pas en train de remettre en cause forcément ce choix, ce que je remets en cause, c'est le fait que le choix lui-même n'ait jamais été discuté, n'ait jamais été débattu au sein de la société. Or, il me semble discutable que la santé, au sens de la santé biologique, prime sur toutes les autres considérations, par exemple, au premier chef, la santé psychique. On voit aujourd'hui les dégâts psychiques qui ont été faits, notamment chez les jeunes, après ce confinement. Bon, il n'y avait peut-être pas de bonne solution, mais il n'empêche que cette espèce d'évidence que la grande santé, la bonne santé, est la valeur absolue, que la vie, au sens à nouveau biologique du terme, soit la valeur évidente, il me semble qu'il y a comme ça une sorte de relent d'eugénisme un peu inquiétant et qu'en réalité… Évidemment, on a tous envie d'être en bonne santé, d'être en vie, mais la valeur qu'on donne à sa vie n'est pas inhérente à la vie elle-même. C'est quelque chose qui se produit, c'est quelque chose qui se travaille, qui se construit, qui se crée”

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