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Immersion avec les travailleuses du sexe
Immersion dans le bois de Boulogne avec les travailleuses du sexe
Notre reporter Camille a suivi Valeria et Lasmy, originaires d’Argentine et de Colombie. Elles décrivent un quotidien dangereux et incertain.
Le bois de Boulogne est un lieu célèbre de la prostitution à Paris. Ici, près de 500 travailleuses du sexe transgenres y travailleraient chaque jour et chaque nuit. Valeria et Lasmy, originaires d’Argentine et de Colombie, ont accepté que notre reporter Camille les suive dans leur quotidien. Elles lui ont raconté leur métier, ultra risqué, et leurs débuts, toutes jeunes, dans la prostitution.
« Mon père nous battait, il a violé mes deux sœurs »
Valeria travaille au bois de Boulogne depuis ses 13 ans. Aujourd’hui, elle en a 53. « Ma vie a été tellement difficile avec notre père. Il nous battait, il a violé mes deux sœurs… Mon père se saoulait beaucoup, il s’est mis avec une femme qu’il frappait. Il la tabassait au point de la laisser presque morte, horrible. Alors moi, pour ne pas voir toutes ces choses, à 9 ans j’ai commencé à sortir de chez moi pour chercher à manger. »
C’est à ce moment-là que Valeria se prostitue pour la première fois. « J’ai commencé à travailler avec des personnes âgées : ‘’Eh petit garçon, combien ça me coûte de te caresser ?’’ Déjà à cette époque. À 13 ans, je portais déjà des talons, j’avais de longs cheveux blonds. À 14 ans, j’avais des seins, je prenais des hormones. »
« Je suis totalement fière de ce que je suis »
« Tu nais avec ça, depuis toute petite, abonde Lasmy. Moi, je pense qu’on se travestit parce que depuis petite, on a besoin de se sentir femme. Depuis petite, on a cet instinct. Je suis une travestie. Je suis totalement fière de ce que je suis. Fière. Nous avons juste besoin d’être appréciées, d’être aimées, que les gens apprennent à connaître cette réalité de nous. »
« Il y a beaucoup de gens, beaucoup de jeunes qui ne dévoilent pas leur vrai intérieur à cause de cette peur de la société. Ils ne s’ouvrent pas, ils vivent frustrés toute leur vie, ils se marient alors qu’ils n’en n’ont pas envie, ils ont des enfants qu’ils n’ont pas désirés… » déplore Valeria. Cette peur du rejet, certaines choisissent de la cacher derrière le maquillage et des looks extravagants. Comme Lasmy : « J’ai mes complexes. Depuis petite, je voyais les mannequins et j’ai toujours voulu être une femme. Avec le maquillage, j’essaie d’effacer les traits masculins et je les transforme en traits féminins. »
Pas de client type
Très vite, au bois de Boulogne, certains gestes et questions deviennent des rituels. « Toutes les personnes demandent les mêmes choses : ce que tu fais, combien… Normalement, ils demandent combien de centimètres fait ta bite », décrit Valeria. Il n’existe pas de client type, même s’il y a davantage de jeunes hommes. « Il y en a des gentils, il y en a des chiants, il y en a qui sont macabres… C’est dangereux. Mais on doit faire notre travail. Quand les hommes chient sur ton visage c’est hyper bien payé. Mais je n’en suis pas capable », poursuit Lasmy.
Le bois de Boulogne des travailleuses du sexe est un monde à part entière, avec ses codes et ses règles. En haut de la hiérarchie, les plus anciennes. Tout en bas, les dernières arrivées. Entre elles, elles se revendent leurs emplacements pour plusieurs milliers d’euros. « Les filles qui viennent d’arriver n’ont pas le droit de travailler la journée, explique Valeria. Moi, ça fait 20 ans que je travaille à Paris. On s’organise entre nous. Ce sont les règles. J’ai payé 5.000 euros ma place en journée quand je venais d’arriver. »
En 10 ans, 15 travailleuses du sexe du bois de Boulogne ont été tuées
Ici, on ne se mélange pas. Les femmes cis restent avec les femmes cis, les femmes trans avec les femmes trans. Les séparations se font même pas nationalité : Argentines, Péruviennes ou Colombiennes ne partagent pas les mêmes espaces de travail. Et chacune doit assurer sa propre sécurité. Dans le bois de Boulogne, les agressions de travailleuses du sexe sont quasi quotidiennes. En 10 ans, 15 d’entre elles ont été tuées.
En août 2018, Vanessa Campos s’y est fait sauvagement assassiner. Sa mort avait provoqué une vague d’indignation, mais depuis, rien n’a changé. Valeria se souvient de ce jour tragique. « J’étais en train de travailler à pied. Le mec est arrivé avec son arme, il tirait en l’air. Ils savaient que Vanessa Campos était par ici et qu’elle allait courir. On a toutes fui. Les mecs l’attendaient. Ils l’ont attrapée par derrière, lui ont ouvert la gorge. Un autre lui a tiré une balle dans la tête. Ils l’ont laissée. On a appelé la police. Elle était là : ‘’Oui, oui…’’, mais ils n’ont rien fait. On leur a répété plein de fois que les voleurs étaient cachés dans les bois… »
« Je pense que tout ça n’arriverait pas si le gouvernement nous considérait un peu plus »
Valeria en est persuadée : si la prostitution était légalisée, les conditions d’exercice du métier seraient bien moins dangereuses. « Je pense que tout ça n’arriverait pas si le gouvernement nous aidait un peu et nous considérait un peu plus. Pour nous, c’est un travail comme un autre. On ne fait de mal à personne. On n’oblige pas le client à venir ici. On ne peut pas faire autre chose, on n’a pas étudié pour faire autre chose. On gagne notre pain quotidien grâce à la rue. Si on nous enlève ça, qu’est-ce qu’il nous reste pour vivre ? »
D’autant que les travailleuses du sexe assurent, à leurs frais, la protection des clients. « On se charge d’eux. On a du papier, des préservatifs, du lubrifiant, tout. Les protections, bien sûr. C’est le plus important. Il faut protéger le client et se protéger soi-même », détaille Lasmy. Aujourd’hui, aucune d’entre elle ne sait si elle rentrera en pleine santé – ou même vivante – chez elle au soir. « Je prie pour que tout se passe bien, que personne ne me fasse du mal. C’est la routine. Tu sais que tu sors de chez toi, mais tu ne sais pas si tu vas rentrer. »
Maud Le Rest