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L'Alabama en guerre contre l'IVG
États-Unis : en Alabama, l’avortement en danger
Dans cet État américain très croyant, une loi pourrait bientôt interdire aux femmes d’avoir recours à une IVG, même en cas de viol ou d’inceste. Le point avec Marion Seclin.
"Ne laissez pas ces brutes déchiqueter votre enfant. Ce sont des monstres, ils s’en foutent." David Day est militant anti-avortement. Régulièrement, il va manifester devant l’une des deux dernières cliniques d’Alabama qui permettent aux femmes d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG). Là-bas, les femmes se rebellent, notamment les victimes de viol.
Brut a choisi de leur donner la parole. Des Américaines, debout, et des brigades de femmes qui défendent leur droit à disposer de leur corps. On ne les appelle pas les pro-avortement, mais les pro-choice. Elles sont pour le droit de choisir, ou non, d’avoir recours à une IVG. Elles font face aux pro-life, des fondamentalistes chrétiens qui harcèlent celles qui souhaitent à l’IVG et diffusent cela en direct sur les réseaux sociaux.
"Bienvenue aux portes de l’enfer"
5h du matin, devant la clinique de Montgomery, l’un des deux derniers centres d’Alabama à pratiquer l’IVG. Des militants pro-life attendent les premières patientes. "Jésus Christ est notre seigneur. Bienvenue aux portes de l’enfer", crie David Day. Pour protéger les jeunes femmes harcelées, des militantes pro-choix les accompagnent jusqu’à la clinique en les cachant derrière un parapluie.
"Hé, chérie. On va marcher ensemble, ne t’inquiète pas. Ignore ces idiots, tout ira bien", glisse Mia Raven, présidente de la maison des femmes, à une patiente effrayée. "On utilise nos parapluies pour cacher les patientes face aux protestants et pour empêcher qu’on les prenne en photo et qu’ils filment, sinon on viole leur vie privée", explique-t-elle à Brut. "On a eu le cas d’une étudiante de l’université d’Alabama. Elle a été exclue de son établissement, on lui a même retiré sa bourse. C’est vraiment grave d’être vue devant cette clinique. Certaines femmes risquent d’être blessées, même tuées. Et si leur patron est anti-IVG, elles peuvent perdre leur boulot."
"Une fois qu’il est né, ils n’en ont rien à foutre de ce gamin"
À la sortie de la clinique, Brut a rencontré une mère célibataire qui vient de se faire avorter. Elle a souhaité garder l’anonymat. Elle a deux enfants à charge et deux boulots pour s’en sortir. Pour elle, l’IVG est un choix : celui de ne pas mettre au monde un enfant qu’elle ne pourra pas assumer. "Mon choix, c’est mon choix, même si ça ne te plaît pas. Ils peuvent crier autant qu’ils veulent, me dire que je vais brûler en enfer, que je dois me soucier de cet enfant… C’est ce que je fais : c’est pour ça que j’ai fait ce choix, parce que je ne peux pas l’assumer. Ce sont eux qui vont payer ses soins médicaux, son éducation ? Non. Une fois qu’il est né, ils n’en ont rien à foutre de ce gamin."
90% des habitants d’Alabama sont croyants, et 70% sont opposés à l’avortement. Cet État est l’un des plus conservateurs du pays, l’un des moins éduqués, et l’un des plus pauvres. Là-bas, le mouvement anti-avortement est déjà allé beaucoup plus loin que des coups de pression et des insultes. En mars 1993, un médecin qui pratiquait des IVG a été assassiné par un militant pro-life. Puis, en 1998, un attentat à la bombe contre une clinique pratiquant l’avortement a fait un mort. Il a été revendiqué par un militant pro-life. "Dans notre histoire, il y a toujours eu cette violence, et elle peut ressurgir à tout moment", observe Mia Raven.
"Si vous tuez une femme enceinte de deux mois, c’est un double meurtre"
Dans cet État, les anti-IVG sont en train de gagner la bataille politique. Le Sénat d’Alabama a voté en mai 2019 une loi interdisant les interruptions de grossesse, même en cas de viol ou d’inceste. Un vote adopté grâce aux voix de 25 sénateurs – des hommes blancs et républicains. Cette loi a pu être votée grâce à un puissant lobby, l’Alabama pro-life coalition. Son président, Éric Johnston, s’explique à Brut : "C’est important qu’il n’y ait pas d’exception en cas de viol ou d’inceste, car cela ne serait pas cohérent si la loi considère que le fœtus est un être vivant. On utilise la définition du code pénal qui existe déjà en matière d’homicide et de meurtre. Si vous tuez une femme enceinte de deux ou trois mois, vous serez inculpé pour double meurtre."
"Cette interdiction a été proposée pour satisfaire les ultra-conservateurs évangéliques. Je pense que c’est une manière de contrôler les femmes poussée par les ultra-conservateurs" analyse Samantha Blakely. La jeune femme a été violée par un collègue il y a deux ans et a dû se faire avorter. Les dernières nominations à la Cour suprême semblent lui donner raison. Brett Kavanaugh et Neil Gorsuch, deux juges pro-life, ont récemment été nommés par Donald Trump. À la plus haute cour de justice américaine, les pro-life sont aujourd’hui majoritaires. Si la loi votée en Alabama en mai dernier a immédiatement été attaquée en justice par les défenseurs des droits civiques, c’est aux juges de la Cour suprême de décider, dans les prochains mois, si la loi est légale.
"J’ai l’impression de revivre mon traumatisme"
Pour le moment, Samantha Blakely ne sait encore si elle va quitter son Alabama natale. "C’est une question qui me taraude : dois-je rester pour améliorer les choses, ou dois-je fuir ? J’ai l’impression de revivre mon traumatisme, parce que je me sens obligée de le raconter aux sénateurs. Même en public, les gens connaissent désormais mon histoire, mais c’est important que les gens sachent à quel point ça fait du mal à des gens comme moi et aux habitants d’Alabama." Pour le moment, les femmes ont encore le droit d’avorter en Alabama. Mais pour combien de temps encore ?