La triche derrière certaines photos animalières

De magnifiques clichés animaliers, on en voit un peu partout sur les réseaux. Mais parfois, ils sont faux. Animaux congelés ou empaillés, appâtage, enclos… Des photographes peu scrupuleux sont prêts à mettre en péril la vie d'animaux. Emmanuel Clévenot, journaliste pour Reporterre, a enquêté.

Dans la nature, une scène comme celle-ci, elle n’existe pas”. Emmanuel Clévenot est journaliste pour Reporterre. Il a enquêté sur les pratiques frauduleuses de certains photographes animaliers. Il parle ici d’une photographie mettant en scène un ours aux côtés d’un loup. “Pour réaliser une photo comme ça, il faut forcément tricher. Et donc c'est ce qu'on a essayé de raconter dans l'enquête qu'on vient de publier sur Reporterre”. Dans cette enquête, est notamment décrit un hôtel situé en France. Là bas, “plein de cabanes alignées” donne vue à des photographes peu scrupuleux “sur des prédateurs qui ont quitté leur espace naturel pour venir dévorer la nourriture que l’homme leur a apportée et mise sous le nez” décrit Emmanuel Clévenot. 

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“Les photographes congèlent ces grenouilles, ils font pareil avec les souris ou les papillons”


Concrètement, les photographes s’installent dans les cabanes, et attendent derrière la vitre d’avoir la scène qui leur plaira. A l’extérieur, un employé du site arrive en motoneige. “ll a sa remorque des carcasses de cochons qu’il va installer par terre, pile dans l'axe des photographes”. Des croquettes pour chien et du saumon sont aussi laissés par terre. “Plein de nourriture ne trouveraient pas du tout dans la nature. Et ça va attirer plein d'ours, plein de loups, plein d'animaux qui vont se retrouver en contact et se bagarrer pour de la nourriture. On pourrait se dire: c'est comme ça, c'est pas très grave." Mais en fait, c'est assez grave” affirme le journaliste de Reporterre. 

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Parmi les dangers, Emmanuel Clévenot cite le risque de propagation des maladies, l’augmentation du nombre de combats, des “infanticides” de la part d’un mâle sur les petits d’une femelle présente. “Et en plus de ça, un petit ourson ou un petit loup qui vient et qui apprend qu'on peut trouver du saumon dans les prairies, une fois qu'il va quitter sa mère et donc qu'il va aller conquérir un nouveau territoire, si dans ce nouveau territoire, il n'y a pas cette source de nourriture artificielle, il ne va pas comprendre” ajoute le journaliste. 

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“Parfois même, ils passent des fils de fer dans les membres de ces animaux pour les mettre dans la position désirée”


Après, cette pratique de l'appâtage ou du nourrissage des prédateurs, ce n'est pas la seule”. Fermes à lynx dans les pays d’Europe de l’Est, fermes à pumas aux Etats-Unis, fermes à rapaces… Ici, “les animaux sont dressés pour prendre la pose des photographes qui n’ont plus qu’à cliquer”. Il parle également d’autres “supercheries” opérées en Asie du Sud-Est avec des photos de grenouilles prenant des poses “complètement exubérantes” comme “se mettre à cheval sur un autre insecte”’. “Ces images, il faut vraiment faire attention parce que derrière, les photographes congèlent ces grenouilles, et une fois qu'elles sont soit complètement endormies, soit même mortes, ils vont les ressortir des congélateurs, les positionner comme ils veulent et ensuite prendre des photos qu'on n'arriverait jamais à avoir dans la nature. Et ils font pareil avec les souris ou les papillons. Parfois même, ils passent des fils de fer dans les membres de ces animaux pour les mettre dans la position désirée.” 


Faire de la photographie animalière, c'est laisser les animaux vivre tranquillement dans leur milieu naturel”


Le journaliste déclare que le gagnant du prix prestigieux Wildlife Photographer of the Year 2017, un photographe brésilien, avait en réalité pris en photo un fourmilier… empaillé. C’est ce dont on s’est rendu compte après la remise du prix. Autre exemple : la photographie d’un martin pêcheur qui est en train de plonger dans l’eau pour attraper un poisson. Elle a été réalisée par un photographe écossais. “Il a passé 4 200 heures dans son affût à essayer de prendre la photo. Et derrière, il y a plein d’autres photographes beaucoup moins scrupuleux qui se sont dit : “Comment faire ça beaucoup plus rapidement ? Et bien, je vais installer un aquarium en verre à la surface de l’eau avec plein de poissons”. Sauf que le problème est que le martin pêcheur en plongeant va se briser le bec contre la vitre de l’aquarium et il va instantanément s’écraser et mourir.

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A la publication de l'article, j'ai reçu beaucoup de messages de photographes professionnels qui étaient soulagés qu'on parle de tout ça parce que ça crée une concurrence déloyale pour eux” explique Emmanuel Clévenot. “En fait, l'essence même du métier de photographe animalier, c'est de respecter le vivant, l'environnement dans lequel on est. Et donc ces photographes-là m'ont raconté comment ils travaillaient. Par exemple, une des premières règles qu'on apprend en photographie animalière, c'est d'arriver avant les animaux, de s'immobiliser dans un affût, donc c'est-à-dire de se cacher complètement, et de repartir qu'une fois que l'animal est parti. Autrement dit, l’animal arrive, il ne sait pas qu'on est là, il repart, il ne sait toujours pas qu'on est là. Et c'est ça, faire de la photographie animalière, c'est ne pas déranger les animaux et les laisser vivre tranquillement leur vie dans leur milieu naturel” conclut le journaliste de Reporterre.

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