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"Pion" de l'État français, Robin Campillo raconte son enfance à Madagascar

"J'ai senti très tôt qu'on n'était pas à notre place, là-bas…" Enfant, Robin Campillo a passé 2 ans à Madagascar, ancienne colonie française devenue indépendante mais sur laquelle la France tentait de garder le contrôle. C'est le thème de son nouveau film "L'Île Rouge". Il raconte.
Publié le
31
/
05
/
2023

Le Madagascar post-colonial

Six ans après 120 battements par minute, qui a remporté le Grand Prix du Festival de Cannes, Robin Campillo raconte dans son quatrième film intitulé L'Île Rouge, les derniers mois de l’emprise coloniale de la France sur Madagascar après son indépendance, le tout en partie basé sur ses souvenirs d’enfant, dans les années 70. “J'ai vécu à Madagascar de 1969 à 1971, deux ans de ma vie. Ces deux ans, c'est un peu toute mon enfance. En tout cas, c'est une période notable de mon enfance parce que l’île m’avait beaucoup marqué”, explique Robin Campillo. Dans son film, on revit la fin de l’ère du colonialisme, sur une base militaire française avec des soldats et leur famille, un tableau qui dépeint le vécu du réalisateur, lorsqu’il était encore enfant. Son long-métrage, historique mêlé à l’intime, sort en salle le 31 mai. 

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Alors que son père est militaire dans l’armée de l’air, la famille s’installe dans le pays. Né au Maroc, il grandit en Algérie puis à Madagascar, à la base militaire 181 d’Ivatosa. Avec du recul et un regard adulte, il explique que l’île était, pour la France, un lieu stratégique qu’il était important de posséder par rapport à l’URSS. “Madagascar avait été colonisé depuis longtemps. En 1947, il y a eu des émeutes, des rébellions de résistants, des rébellions notamment parmi les paysans dans le sud de l'île, et ça avait mené à une immense violence de la part de la France, surtout, avec des massacres très, très importants”. En 1960, l’île de Madagascar devient indépendante, une illusion selon Robin Campillo. 

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“C’était une fausse indépendance”

Car après l’indépendance du pays, la France reste encore présente, une présence que le réalisateur caractérise comme “spectrale”. “Cette fausse indépendance a volé en éclats, et notamment grâce aux étudiants et aux lycéens, donc des gens très jeunes, qui ont soutenu d'un seul coup aussi, toutes les rébellions qu'il y a eu dans le sud de l'île un an auparavant, en 1971”. Les Malagasy décident alors de s’attaquer directement à leur propre gouvernement et non à la France, étant supposé être indépendant. “Ils ont eu cette intelligence de s’attaquer à leur propre président, en disant qu’ils ne voulaient plus apprendre le français et obtenir des diplômes qui débouchent sur de vrais boulots”, explique le réalisateur. 

Car du temps de la colonisation et même après, les Malagasy, une fois diplômés, n'avaient pas droit au même statut et au même poste qu’un Français. “Par exemple, les Malagasy qui faisaient médecine ne pouvaient pas être médecins, à la fin. Ils étaient infirmiers ou subalternes à des médecins français. Donc, le colonialisme avait survécu à lui-même et avait permis à la France de garder sa position de force dans l'île”. 

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“On n’était pas à notre place”

Peu de temps après l’indépendance, Robin Campillo, alors enfant, devient rapidement nostalgique de cette île dans laquelle il vit depuis quelques années. “J'avais une nostalgie de Madagascar très, très vite et en même temps, je sentais que quelque chose nous échappait, cette nostalgie à la fois n'était pas la nôtre et qu'au fond, on était un peu des pions dans la stratégie française”. Robin Campillo ressent alors très tôt que lui et sa famille ne sont plus à leur place. Sa nostalgie se double alors d’une impression que ses souvenirs ne lui apprenaient pas. 


Pendant longtemps, il ne retourne plus à Madagascar. “J'avais l'impression que c'était un pays où on avait des souvenirs qu'on avait volés, un peu, et donc, même si j'étais enfant, évidemment, je ne pensais pas au colonialisme, à toutes ces choses-là, mais je sentais qu'effectivement, il y avait quelque chose d'un peu factice dans ce qu'on avait vécu”. Il explique que durant ces deux années, même enfant, il percevait un décalage, à la fois agréable mais assez suspect : “ Non seulement on était dans un pays qui était assez paradisiaque, particulièrement magnifique, avec une nature, des paysages, mais en plus, on était un peu au-delà de notre classe d'une certaine manière. Et donc ça créait une espèce de décalage qui était à la fois agréable mais qu'il y avait quelque chose qui clochait, qu'on n'était pas à notre place complètement et qu'on profitait un peu de ce pays, que le paradis perdu était plus un paradis volé qu'un paradis perdu”, ajoute Robin Campillo. 

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