L'attente : un jeu de pouvoir, avec Sandrine Alexandre

BRUT PHILO. Le monde se divise en 2 catégories : ceux qui attendent et ceux qui se font attendre. Pour la philosophe Sandrine Alexandre, les rapports de pouvoir qui se jouent dans l'attente permettent de mieux comprendre notre société...

L'attente fonctionne comme un principe de distinction entre nous”


Sandrine Alexandre est professeure de philosophie. Elle vient de publier le livre “L’attente ou l’art de perdre patience”. Elle revient sur cette notion centrale qui rythme nos vies : l’attente. “Nous n'attendons pas tous de la même manière. Certains attendent plus que d'autres, d'autres font attendre. L'attente fonctionne comme un principe de distinction. Cette distinction, à la fois, elle repose et elle exprime un certain nombre de rapports de pouvoir et elle contribue aussi à les renforcer, voire à les produire. Par exemple, ceux qui attendent, ce sont ceux qui ont peut-être moins de capital financier, mais aussi social. Ils n'ont pas les relations qui leur permettent de voir leur dossier passer avant celui des autres, par exemple. Il n'y a pas cette minute de recommandation qui est si utile pour gagner du temps, pour que son dossier soit étudié assez rapidement”. 

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La question est de savoir si la situation dans laquelle je me trouve justifie cette attente qu'on me fait subir”


L'attente serait l'un des ressorts d'une rationalité néolibérale. Elle contribue à favoriser les situations de consommation. Parce qu'on nous a tellement dit qu'attendre était horrible que l'on va faire n'importe quoi d'autre et donc, par exemple consommer, en attendant. C'est un ressort des mutations économiques également, dans la mesure où, faute d'attendre, ou plutôt pour ne pas attendre, on va essayer de faire soi-même la démarche ou la tâche, passer par une caisse automatique par exemple ou éviter d'attendre un opérateur et aller soi-même sur Internet remplir le formulaire” explique Sandrine Alexandre avant d’ajouter : “Cette expérience de l'attente est également le ressort d'une surveillance massive, accrue, et d'un contrôle accru via des données que l'on donne bien volontiers pour ne pas attendre :  la carte privilège qui fait que je vais pouvoir passer devant les autres par exemple. Mais, peut-être, la question importante, c'est de réfléchir aussi aux conditions qui me permettent, moi, de bénéficier de ce privilège-là, que ce soit le privilège de la célérité ou que ce soit le privilège du temps à soi, du temps qu'on a enfin réussi à avoir pour soi”

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Est-ce que ces privilèges-là sont des privilèges illégitimes ou est-ce que ce sont des portions de territoire qu'on a réussi à aménager pour soi-même et dont on ne prive absolument pas les autres ? Et peut-être que la question pourrait se poser à l'envers c'est-à-dire : dans une situation, est-ce que j'ai raison ou non de trouver cette attente illégitime ? Alors que bien souvent, on se dit “bah j'attends, c'est comme ça", et on a derrière la tête aussi cette injonction à: il faut patienter. Et puis il faut patienter dans la bonne humeur. Il faut positiver. Et puis il faut bien patienter, donc il faut bien s'adapter. Donc on a toutes ces injonctions-là et la question est de savoir si la situation dans laquelle je me trouve justifie cette attente qu'on me fait subir.” 

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