Le "long passif de banalisation du viol" au Sénégal

Ousmane Sonko qui qualifie Adji Sarr de "guenon victime d'AVC". Pour Ndeye Khady Babou, médecin et co-coordinatrice du Réseau des féministes du Sénégal, cela s'inscrit dans "un long passif de banalisation du viol" au Sénégal. Elle nous explique pourquoi.

De quoi Ousmane Sonko est-il accusé ? 

Le 24 mai 2023, Ousmane Sonko, homme politique sénégalais et principal opposant du président Macky Sall disait : “Même si j'avais décidé de violer, je n'allais pas violer une guenon qui a fait un AVC”. Il était accusé de viol par Adji Sarr, qui avait porté plainte contre lui. Le 1er juin dernier, il était condamné à deux ans de prison ferme et à 600 000 F CFA d’amende par la chambre criminelle du tribunal de Dakar mais a été acquitté des faits de viols dont il était accusé. Pour Ndeye Khady Babou, médecin et co-coordinatrice du Réseau des féministes du Sénégal, cette affaire et les paroles d’Ousmane Sonko, s'inscrivent dans un long passif de banalisation du viol dans le contexte sénégalais. “Aujourd'hui, en tant que leader politique aux plus grandes instances de ce pays et qui doit être garant de la protection des femmes, des filles et de toutes les lois ratifiées par ce pays pour leur protection, c'était vraiment, vraiment malvenu.

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La “profonde misogynie de la société sénégalaise

Le Réseau des féministes du Sénégal vient de publier une tribune “Sénégal. Le corps des femmes, cet objet politique”. Pour ces femmes féministes, cette tribune est le moyen de dénoncer l'instrumentalisation du corps des femmes qui a été constatée lors de cette affaire et surtout, de dénoncer la “profonde misogynie de la société sénégalaise”. Du fait du traitement médiatique de l’affaire et de la lecture du verdict de cette affaire, Ndeye Khady Babou indique qu’il est possible de remarquer une fois de plus “l'invisibilisation de la parole et surtout l'infantilisation de la parole des femmes et des victimes de viol dans ces contextes.” Elle précise que depuis le début de l'affaire, une véritable théorie du complot s’est installée. “Aujourd'hui, l'affaire du viol a été requalifiée et le terme "requalification”, est apparemment, une nouveauté dans la population sénégalaise, mais pour les personnes qui travaillent et qui accompagnent les victimes et les survivantes de viol, revoir des cas de viol, qui est donc un crime requalifié en délit, n'est pas une exception”

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Car si les accompagnatrices de victimes de violences prennent le temps d’aller en profondeur sur les termes juridiques, notamment sur cette notion de corruption de la jeunesse dont le verdict a été rendu, ce n'est pas le cas de la majorité de la population. “Du coup, on a un amalgame entre corruption de la jeunesse, qui serait du fait qu'Ousmane Sonko aurait un ascendant sur l'ensemble de la population jeune et pouvant les pousser, peut-être, à sortir manifester, et la réalité des faits. C'est-à-dire que si, effectivement, il n'y a pas eu assez d'éléments pour aller vers un verdict de viol, le juge a quand même rendu un verdict nous laissant clairement voir qu'il y a eu des relations illicites entre Ousmane Sonko, du fait de son statut politique, de leader, du fait de son âge, le double de celui d'Adji Sarr qui, à 19 ans, et qui était dans une précarité autant sociale qu'économique, et surtout qui était dans un lieu qui était propice à la débauche. Parce que la propriétaire du salon a également été condamnée de ce type de relations-là.” 

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“Votre parole compte, votre voix compte”

Celle-ci explique également qu’il y a eu un “angle mort” de la parole de la victime dans cette affaire, qui aurait notamment pour conséquence accentuer la peur des victimes dans le dépôt de plainte. “Une femme sur trois est victime de violences sexistes et/ou sexuelles au cours de sa vie, mais il y en a qu'une sur cinq qui ose aller porter plainte, et dans certaines études, on sait qu'on a à peine une victime sur huit qui a gain de cause à la fin, donc il y a sept victimes qui ne sont jamais crues, et c'est toujours la grande problématique du fardeau, de la preuve sur le dos, de la charge sur le dos des victimes.

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Même si le viol a été criminalisé, il reste, selon Ndeye Khady Babou, de nombreux efforts pour une bonne mise en application car “nous sentons une certaine réticence du système judiciaire, mais pas que, parce qu'il y a eu beaucoup de contrevérités qui ont été drainées avec cette histoire.” Elle évoque notamment la formation des journalistes, des médias en général, des médecins et de tous les professionnels et parties prenantes qui tournent autour du traitement à apporter aux victimes de viol”, qui, selon elle, doit être renforcé. “Entendre aujourd'hui des collègues médecins ou la population dire qu'il n'y a pas eu de viol parce que le certificat médical l'a éliminé, c'est juste une aberration si on connaît le process de mise en accusation et surtout la définition du viol, qui n'est pas médicale mais bien juridique.”

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Pour toutes les victimes, elle tient à adresser ces mots : “Pour toutes les personnes, femmes, jeunes filles, adolescentes ou jeunes garçons, qui seraient victimes d'abus sexuels, même si la loi aujourd'hui met encore la charge de la preuve sur le dos des victimes, vous n'êtes en rien responsables. Il n'y a pas de profil type de victime, comme il n'y a pas de profil type d'abuseur. Votre parole compte, votre voix compte”. 

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