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9 questions sur la négociation en temps de guerre

Brut a posé 9 questions simples à Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis, sur la négociation en temps de guerre.
Publié le
03
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2022

1/ Pourquoi les négociations sont-elles secrètes ?


Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis : “Une négociation, c’est faire des concessions. Et donc, si vous faites des concessions devant votre propre opinion publique, l’opinion publique dirait : ‘ce n’est pas possible, il capitule’. Il faut que la négociation soit secrète pour permettre justement ces concessions.”


La nuit du 24 février 2022, le président russe Vladimir Poutine a déclaré la guerre à l'Ukraine. Voici 6 questions simples sur la crise entre l'Ukraine et la Russie.


2/ Autour de la table, ça se passe comment ?


“D’abord, on ne sait pas vraiment si l’autre a des instructions qui lui permettent vraiment d’aller de l’avant ou s’il est simplement là pour gagner du temps.


Ca commence toujours par : chacun réaffirme sa position de principe, donc on commence par des heures où chacun bétonne, et puis ensuite, on essaye de voir sujet par sujet s’il y a des possibilités de compromis.


Ensuite, évidemment, on sort de cette table, il y a des moments où chacun va fumer une cigarette, où chacun va pisser et là, les chefs de délégation peuvent essayer d’aller bavarder l’air de rien, voir en dehors des oreilles des autres est-ce que quelque chose est possible.”


3/ Comment on choisit le lieu ?


“On fait très attention à ce que même les lieux, l’organisation, ne reflètent finalement pas un rapport de force qui vous soit défavorable. Par exemple, les Ukrainiens n’iront pas négocier en Russie, et s’ils vont en Russie, ça veut dire qu’ils ont perdu.”


4/ C’est dangereux pour les négociateurs ?


“Vous avez un laissez-passer accordé par le pays qui contrôle la zone et donc vous bénéficiez aussi des protections diplomatiques. Mais après, est-ce qu’on les respecte ou est-ce qu’on ne les respecte pas ?
À la fin des guerres de la Révolution, il y a une délégation française au congrès de Rastatt, en 1797, qui a été massacrée par nos amis autrichiens.


Je comprends très bien que Zelensky n’y soit pas allé, parce que là, vraiment, il est un prix tellement énorme… la prise de Zelensky, on peut penser que c’est la fin de la résistance ukrainienne.


Mais théoriquement, les délégations sont couvertes par les règles internationales.”


5/ Est-ce le bon moment pour négocier ?


“Une crise, elle a des étapes et nous sommes à l’étape où l’agresseur pense qu’il peut gagner, et donc il n’a pas vraiment intérêt à négocier, sauf à obtenir la capitulation du faible, et l'agressé pense qu’il peut résister, et donc il n’a pas vraiment de raison de faire des concessions.”


6/ Des erreurs à éviter ?


“Le plus dangereux dans la négociation, évidemment, c’est l’émotion.


Comme diplomate, il faut s’endurcir et essayer d’oublier ce qu’il s’est passé, que le monsieur d’en face a détruit une bonne partie de votre pays et essayer de voir si on peut mettre un terme au conflit.”


7/ Ont-ils le dernier mot ?


“Il arrive que le négociateur approuve un texte et que sa capitale refuse le texte. Je me rappelle avoir négocié avec les Russes sur l’action humanitaire en Syrie lorsque j’étais au Conseil de sécurité.


Nous avions un accord avec l’ambassadeur de Russie qui pourtant était un dur de chez dur. Le lendemain matin, le Russe m’appelle en me disant ‘je suis désolé, ma capitale n’accepte pas le texte’.


Ça voudra dire aussi qu’il se sentira d’ailleurs quasiment paralysé dans sa négociation d’après et qu’il ne lâchera plus rien étant donné qu’il a été déjà désavoué une fois.”


8/ Pourquoi il y a plusieurs discussions en parallèle ?


“Dans les périodes de crise intense, vous avez à la fois, des gens de bonne volonté, aussi parce que des pays veulent éviter une guerre même s’ils ne sont pas parties, vous avez une multiplication de ces contacts.


C’est dangereux parce que, du coup, lorsque vous êtes l’un des potentiels belligérants, il est difficile de distinguer ce qui est manipulation, bruit de fond, de la réalité. Quel est le bon canal ? Qui en réalité est vraiment le bon interlocuteur ? Qui exprime vraiment la pensée de l’autre ?


Et donc je crois que la logique d’Emmanuel Macron, là derrière, c’est de se dire : gardons un canal ouvert, vérifions que Poutine me prend toujours au bout du fil, si j’ose dire, Zelensky est d’accord avec moi, donc j’attends le bon moment pour essayer de renouer une négociation.”


9/ Quel intérêt de faire des concessions ?


“Je dirais : à 90 %, la négociation, c’est simplement tirer les leçons du rapport de force. Le vainqueur se dit : j’essaye de ramasser la mise comme au poker, parce que ça peut se retourner contre moi, et le vaincu se dit : autant faire des concessions parce que ça peut être encore pire demain.


En 1918-1919, les Français veulent démanteler l’Allemagne, et les Anglais et les Américains refusent en disant : on a besoin d’une Allemagne face au bolchévisme, parce que c'est le moment la révolution bolchevique, on a l’impression qu’elle va submerger l’Europe, donc vous voyez, il y a des choix qui sont des choix stratégiques, qui correspondent aussi à la vision de l’après-guerre.


Lorsque vous négociez une paix, vous êtes obligé aussi de penser à qu’est-ce qu’il se passera après la paix. Est-ce qu’on aboutira à une réconciliation ou… Voilà, jusqu’à la prochaine guerre.”