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C’est quoi la théorie du grand remplacement ?

Thomas Snégaroff, historien, revient sur la théorie du grand remplacement, portée par Eric Zemmour et évoquée par Valérie Pécresse.
Publié le
16
/
02
/
2022

Le terme de “grand remplacement” créé en 2010 par Renaud Camus


“Ce terme de grand remplacement renvoie d'abord à une expression très précise employée par Renaud Camus (écrivain français d’extrême-droite) en 2010 dans un livre, dans lequel il expliquait que la population française est en cours d'être remplacée par une population venant d'Afrique du Nord et du Maghreb" explique l'historien Thomas Snégaroff. "J'ai dit "population française" ; en fait, dans la tête de Renaud Camus, c'est la population blanche, que certains appellent Français de souche, de tradition chrétienne qui serait remplacée par une population immigrée nourrie à la fois par l'immigration et par des taux de natalité élevés". L'historien explique que si le terme, l'expression “grand remplacement” date de 2010, l'idée même d'un remplacement d'une population par l'autre, "on la retrouve finalement depuis plus de 100 ans, plus d'un siècle".

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Une idée beaucoup plus ancienne


"En 1900, par exemple, Maurice Barrès, grand écrivain nationaliste, Action française, considérait lui déjà que la France n'avait pas, et c'est les mots qu'il emploie dans un article, "la force d'assimiler ceux qui arrivent, et ceux qui arrivent, ils arrivent", il dit, "avec leur façon de sentir différemment le monde et la France en particulier”". Selon l'historien, il y a déjà chez Maurice Barrès l'idée que certains vont remplacer "ou en tout cas imposer leur vision à ceux qui sont déjà là, rendant impure finalement la nation française. À l'époque, en 1900, ceux qu'il cible, ce ne sont pas les musulmans d'Afrique du Nord, ou du Proche-Orient, ou d'Afrique subsaharienne, c'est essentiellement les juifs". Il ajoute: "C'est les juifs qui "viennent salir la nation et la pureté raciale", soi-disant raciale, "de la France" et cette théorie-là, on va la retrouver évidemment dans les années 1930 et à nouveau dans les années 1950 et 1960 dans les cercles néonazis".


Les significations de la théorie du grand remplacement


Pour Thomas Snégaroff, ce qu'il y a d'intéressant dans cette théorie du grand remplacement, "c'est ce qu'elle implique, ce qu'elle veut dire. Ce qu'elle veut dire, en fait, c'est plusieurs choses". D'abord, c'est qu'il y a l'idée qu'il y aurait, et "c'est ce qu'Eric Zemmour dit, il dit "depuis 15 à 20 siècles", une population qui serait fixe, qui serait la même, qui aurait évidemment fait des enfants, mais qui serait la même depuis des siècles et des siècles et qui, depuis quelques années serait percutée par des mouvements migratoires et par des taux de natalité plus importants qui feraient que la population est remplacée l'une par l'autre". Le spécialiste reprend: "Les démographes vous expliquent tous, et les historiens, qu'il y a eu des migrations depuis toujours dans l'histoire de notre pays et que de dire qu'il y a une population qui a été fixe pendant très longtemps et qui serait remplacée aujourd'hui par une autre population, ça c'est contestable, mais c'est ce que ça implique".

 

L'autre idée que cela implique, "c'est qu'il y aurait finalement une impossibilité totale que la population qui arrive vienne s'intégrer voire s'assimiler dans la population existante, ou qu'il puisse y avoir des formes de créolisation ou de métissage". Ainsi, derrière l'idée du grand remplacement, on trouve celle que "les populations ne peuvent absolument pas cohabiter les unes par rapport aux autres, qu'il y aurait des mondes étanches les uns par rapport aux autres, ce qui est sous-tendu par une autre théorie, qui est celle de la guerre des civilisations". "Ça renvoie aux travaux de Samuel Huntington qui, dans les années 1990, avait expliqué que le monde devait se préparer à des affrontements entre civilisations, parce que l'idée d'un échange entre ces civilisations était absolument impossible".

 

Aux États-Unis, Thomas Snégaroff a particulièrement travaillé sur le texte d'un homme, Madison Grant qui, dans les années 1910, écrit le livre "Le Grand déclin de la race nordique" "dans lequel il explique qu'il y a en gros un combat entre la race nordique, qui est pure, qui est restée blanche, qui est protestante d'ailleurs selon lui et qui doit mener un combat contre des migrants qui viennent du sud. Alors, ils ne viennent pas du Maghreb ou d'Afrique subsaharienne, c'est plutôt les Balkans, les Européens des Alpes ou les Européens de la Méditerranée". "Ceux-là, il dit, ils ont déjà été d'une certaine manière "grand remplacés", parce qu'ils sont victimes d'une sorte de métissage, voire "négroïdes", il dit même "de métissage négroïde", et donc ils sont impurs."


Une théorie utilisée par l’extrême-droite et les cercles néo-nazis

 

Cette théorie du grand remplacement et les mots de Renaud Camus ont été lus "un peu partout dans le monde, dans des cercles d'extrême droite, des cercles néo-nazis, et par exemple avec des conséquences dramatiques" précise le spécialiste de l'Histoire. Il prend l'exemple de l'attentat de Christchurch en Nouvelle-Zélande qui a été perpétré au nom de la lutte contre le grand remplacement. "On a retrouvé le manifeste du terroriste et il était très clairement indiqué ces termes-là de grand remplacement". Il en est de même pour la tuerie raciste à Buffalo.

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"On voit que ça peut avoir des impacts très graves et que certains le prennent pour argent comptant et considèrent que face à ce qu'ils considèrent être comme la destruction d'une civilisation, la seule réponse que l'on peut et que l'on doit selon eux apporter ne peut être que violente, parce qu'il s'agit pour eux de vie ou de mort.” Pour rappel, l’attentat de Christchurch en Nouvelle-Zélande perpétré en 2019 par un terroriste d’extrême-droite avait provoqué la mort de 51 personnes. Quelques jours après le drame, un imam avait exprimé son “chagrin” au parlement néo-zélandais et le premier ministre australien était revenu sur l’attentat de Christchurch dans un discours poignant. 


Au sein de l’élection présidentielle 2022, le terme de grand remplacement a été prononcé plusieurs fois par les candidats Eric Zemmour et plus récemment, par Valérie Pécresse. “Dans dix ans, serons-nous encore la septième puissance du monde ? (...) Serons-nous une nation unie ou une nation éclatée ? Face à ces questions vitales, pas de fatalité. Ni au grand remplacement, ni au grand déclassement. Je vous appelle au sursaut”, avait déclaré la candidate des Républicains, Valérie Pécresse, pendant son meeting au Zénith à Paris.


La théorie du grand remplacement est très populaire auprès de la droite identitaire. Eric Zemmour en a fait l’un des piliers de sa campagne présidentielle. La candidate du Rassemblement national, Marine le Pen, s’en détache, qualifiant la théorie de complotiste. L’une des idées de la théorie du grand remplacement est également que le grand remplacement serait poussé par “un pouvoir mondialiste” tenu par les élites capitalistes. 

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En 2018, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann dénonçait “la montée de l’extrême-droite en Europe”. L’ancien ministre de la justice, Robert Badinter, a partagé un message aux jeunes générations sur le devoir de mémoire. Sa grande-mère paternelle a été déportée en 1942.