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Brut Book —Fabriquer une femme par Marie Darrieussecq

“Je n’osais pas dire que j’étais féministe...” BRUT BOOK - “Fabriquer une femme”, c’est le titre du nouveau roman de Marie Darrieussecq qui a débuté sa carrière il y a près de 30 ans avec “Truismes”, écoulé à plus d’un million d’exemplaires. Deux livres féministes. Deux époques différentes. Pour Brut, l’autrice revient sur la façon dont le regard sur les femmes a évolué ces dernières années.
Publié le
11
/
02
/
2024

Comment peut-on ne pas être féministe quand on est une femme ? Je pense que quand on est une femme et qu'on n'est pas féministe, c'est qu'on a intégré en soi le patriarcat jusqu'à en être un bon petit soldat” affirme Marie Darrieussecq. L’écrivaine revient avec un nouveau roman féministe, Fabriquer une femme publié aux éditions P.O.L. Pour Brut, elle revient sur la façon dont le regard sur les femmes a évolué en France ces trente dernières années. “Une de mes filles a exhumé un interview de moi, qui est maintenant sur YouTube, où en 1996, je n'osais pas dire que j'étais féministe. Bien sûr que je l'étais, mais je n'osais pas le dire parce que j'avais l'impression que j'allais m'aliéner la plupart de mon public. Aujourd'hui, je suis très fière de le dire. Et ça a choqué ma fille que je ne le dise pas. Mais elle comprend. C'était un moment historique compliqué pour le féminisme, les années 1990, il y avait un retour de bâton par rapport au magnifique féminisme des années 1970” se souvient l’écrivaine.

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“Je suis féministe, mais je n'écris pas des pamphlets. J'essaie de ne pas donner de leçons. J'essaie d'écrire des romans. Et le roman, c'est l'ambivalence”. 


Son nouveau roman s’appelle Fabriquer une femme. Un titre qui a une résonance particulière : “Fabriquer, c'était le bon mot parce que, pour moi, les femmes, c'est toutes un peu des Frankenstein. C'est-à-dire : on est faites de morceaux qui tiennent comme ils peuvent et on essaie de ne pas être soumises à des injonctions qui sont très souvent contradictoires. La plus classique étant, dans ma jeunesse des années 1980, qu'il fallait être une femme libérée, mais pas trop coucher pour pas être une salope. Donc on devait être libérée, mais quand même se conformer à des standards de vertu, qui existaient encore beaucoup et qui existent encore beaucoup, je crois” explique Marie Darrieussecq. 

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La seule chose qui progresse dans ce petit pays, c'est le droit des femmes”


La seule chose, je trouve, qui progresse dans ce petit pays, c'est le droit des femmes. Elle progresse objectivement. On se fait toujours emmerder dans la rue, moi pas, j'ai passé la date de péremption, mais mes filles, elles se font toujours emmerder dans la rue. Par contre, elles savent qu'elles ont le droit de se plaindre. Nous, c'était comme un état de nature. Les hommes étaient comme ça. Il fallait faire avec et c'était de notre faute parce qu'on était habillées comme ceci, comme cela, parce qu'on sortait trop tard... On n'avait pas le droit d'être dans la rue seule. Aujourd'hui, ça va quand même un chouïa mieux. Et moi même, ma génération, ça allait mieux que la génération de ma mère. Mais ça, c'est grâce aux femmes et aux alliés des femmes. Mais il faut continuer à se battre. Faut rien lâcher” affirme l’écrivaine. Quand elle écrit à 26 ans son roman Truismes, qui raconte l’histoire d’une femme qui se transforme en truie, elle se souvient qu’à l’époque, il est “très compliqué” pour elle comme pour “toutes les filles de (sa) génération de sortir dans la rue ou prendre le métro, en particulier tard le soir. On prenait des risques. C'était de notre faute à nous s'il nous arrivait malheur.” Le roman Truismes est publié en 1996.

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Moi, comme jeune femme dans les rues de Bordeaux puis de Paris, j'étais constamment interrompue par des hommes, j'ai envie de dire, qui croyaient bien faire, parce qu'eux-mêmes se pliaient à l'exercice de la masculinité de l'époque... C'était très souvent gentil, voire bien intentionné. Ce n'étaient pas des violeurs, mais ça participait à la culture du viol qui est que quand une fille est dans la rue toute seule, on a le droit de venir l'interrompre. Je dis interrompre. Pour moi, c'est très important. Moi, j'écrivais dans ma tête. Je réfléchissais à mes bouquins, et en particulier à Truismes. Quand un mec venait m'interrompre, ça me mettait hors de moi. Parfois, je perdais mon idée à cause de ce connard qui se croyait le droit de venir m'interrompre. Truismes est né de cette expérience. La première personne à me parler de ça, elle s'appelait Beatriz à l'époque, c'était Preciado. C'est elle qui m'a donné ce mot de “harcèlement de rue”. Ah ! J'ai senti les cases du cerveau se mettre en place dans mon cerveau. Je me suis dit : oui, c'est ça qui se passe. C'est structurel. Ce n'est pas moi qui suis mal habillée ou quoi”. 

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