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Pourquoi il ne faut pas avoir peur des spoilers dans les séries
Les spoilers, c’est pas grave !
C’est du moins la thèse de Pacôme Thiellement, écrivain spécialisé dans la pop culture. Entretien.
« Si tu regardes "Game of Thrones" juste pour savoir se passer dans l'épisode, ça veut dire que tu ne mérites pas Game of Thrones », assure Pacôme Thiellement. Pour cet écrivain spécialisé dans la pop culture, spoiler une série, ce n'est pas un problème. Voilà pourquoi.
« Une partie des spectateurs ne savent pas exactement ce qu'ils font »
Je pense qu'il y a une partie des spectateurs qui ne savent pas exactement ce qu'ils font, c'est-à-dire qu'ils croient qu'ils regardent un spectacle, alors qu'en réalité, ils sont en train d'enregistrer des informations sur leur futur. Un vrai créateur ne devrait pas avoir peur des spoilers. Je suis très surpris des créateurs qui ont peur des spoilers.
J'ai appris que Quentin Tarantino, quand il a fait The Hateful Eight, Les Huit salopards, son scénario avait circulé dans un premier temps sur Internet. Il en était dégoûté, et il a décidé d'écrire une autre fin à la place. C'est bizarre. Ça veut dire qu'il ne s'adressait qu'aux spectateurs du premier jour de projection. Parce que de toute façon, à partir du moment où le film était projeté une fois, des spoilers, il y en aurait. Il ne pourrait pas changer les fins chaque jour.
« On met notre âme en connexion avec des forces qui sont dans cette fiction »
Je pense que c'est une forme de crainte qu'ont les scénaristes, qu'ont les gens qui travaillent sur un storytelling très serré. Ils se disent : « Merde, on va perdre quelque chose ! On va perdre quelque chose de l'expérience, de la surprise. » Mais en réalité, à ce moment-là, ils ne font pas assez confiance à leurs spectateurs. Mais eux et les spectateurs se trompent sur ce qu'ils sont en train de faire.
Ce qu'on fait quand on regarde une série, c'est qu’on met notre âme en connexion avec des forces qui sont dans cette fiction-là et qui nous informent de comment on va devoir continuer notre vie. Ça nous apporte des choses pour changer notre vie. C'est ça qui importe. Toute œuvre d'art, c'est comme ça. Une œuvre d'art, sa fonction, ce n'est pas tant d'être regardée pour le plaisir ou pour passer son temps ou pour la culture. Tout ça, on s'en fout ! Ce qui importe, c'est comment ça va changer notre vie.
« Les fictions nous informent de nos potentiels »
Et ça ne se joue pas au niveau de l'informationnel. Ça ne se joue pas au niveau d'une intrigue qu'il va falloir résoudre. La véritable énigme qu'il y a dans une œuvre, normalement, c'est comment elle est capable de nous regarder, ce qu'elle est capable de dire sur nous, ce qu'elle est capable de nous faire. Comment elle va changer notre vision du monde, et en changeant notre vision du monde, comment elle va changer notre manière d'agir.
En gros, ce que font les fictions, c'est qu'elles nous informent de nos potentiels. Elles nous disent : « Vous pourriez être ça, vous pouvez être ça. » Ça, c'est des choses que les fictions font. Les spoilers pour des créations françaises sont très faibles. Personne ne spoile Inspecteur Navarro, personne ne spoile Inspecteur Moulin. Ceci dit, personne ne spoile Inspecteur Derrick non plus.
« On spoile essentiellement des séries américaines »
Je pense qu'on spoile essentiellement des séries américaines parce que seules les séries américaines sont spoilables. 1 : parce qu'elles sont tirées au cordeau, elles sont vraiment bien écrites, ça c'est leur qualité. 2 : parce qu'elles reposent peut-être un peu trop sur un principe de narration hérité du récit policier, donc d'Edgar Poe, leur créateur.
Via Edgar Poe, on a une vision qui est apparue du récit, pas seulement du récit policier, mais de n'importe quel récit qui peut être lu comme un récit policier. Ce qu'Edgar Poe a inventé, c'est le lecteur de romans policiers. On peut dire qu'Edgar Poe a inventé le lecteur de romans spoilables ou de séries spoilables.