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Dans les prisons syriennes avec les combattants de Daesh

Ils sont des milliers de djihadistes présumés détenus par les forces kurdes en Syrie.
Publié le
14
/
01
/
2020

Syrie : immersion dans les prisons où sont détenus les combattants de Daesh


Brut a pénétré un prison kurde en Syrie, où sont détenus 5.000 membres présumés de l’État islamique, et a interviewé plusieurs d’entre eux.


En mars 2019, l’État islamique perd la bataille de Baghouz. Cette défaite marque la fin territoriale de Daech en Syrie. Mais un problème majeur se pose depuis : que faire de tous les djihadistes qui ont été arrêtés et de leurs familles?


Les forces spéciales kurdes ont posé deux conditions à notre reporter Charles Villa pour pénétrer dans cette prison ultra surveillée et surpeuplée : ne pas filmer l’extérieur du bâtiment et ne pas parler aux détenus de l’actualité. Afin d’éviter une révolte, on ne leur a toujours pas dit que l’ancien chef de Daech, Abu Bakr al Baghadi, avait été tué par les Américains.


Toutes les pièces sont bondées, et il n’y a quasiment pas de lumière du jour. Certains ont été emprisonnés il y a neuf mois et sont jamais sortis de leur cellule. Une odeur très forte s’en dégage. C’est dans cette petite pièce que Charles Villa a interrogé le premier djihadiste.


Charles Villa : Vous pensez quoi des attaques terroristes qui ont eu lieu en Europe ?


Prisonnier : Qu’est-ce que vous croyez ? Que quand la coalition bombarde, elle ne vise que des soldats ? Quand vous bombardez en permanence un groupe de personnes, attendez vous à des représailles.


C.V. : Avez-vous vu les exécutions de journalistes occidentaux qui ont été décapités par des combattants britanniques ?


Prisonnier : Comme je l’ai dit, je trouve ça horrible de tuer ou de décapiter les gens, je suis contre. Si c’est un jugement qui est prononcé par l’un des juges de l’État islamique, je peux très bien ne pas être d’accord. Mais qui suis-je pour m’opposer à l’État islamique ? Je peux vous raconter beaucoup de choses, mais, si je le fais, je risque ma santé et ma sécurité. Je ne peux pas totalement m’exprimer. Le traducteur répétera ce que j’ai dit aux Kurdes. Et quand vous serez partis, ils vont me péter la gueule.


Dans la pièce, il y a seulement Charles et sa caméra, le chef de la prison et plusieurs membres des forces spéciales kurdes. Pourtant, très vite, le djihadiste attaque ouvertement ses geôliers et dénonce ses conditions de détention. « Je moisis dans cette prison de merde depuis un moment maintenant. Toutes les personnes qui sont dans cette pièce désespèrent de pouvoir sortir de cette prison. C’est hyper difficile, des prisonniers meurent tous les jours, il n’y a pas de médicaments. Tout le monde veut se barrer pour échapper à ces gens, car ils ne respectent pas vraiment les droits humains fondamentaux. »


Le chef de la prison est un membre des forces spéciales kurdes. Évidemment, il n’a pas le même discours. « Ici, on les traite comme des êtres humains, comme des prisonniers. Ils sont vulnérables. Notre éthique et notre humanité ne nous permettent pas de leur faire de mal. Ces prisonniers sont très dangereux. C'est comme une bombe prête à s'exploser. On ne sait pas à quel moment ça va péter. Ils attendent la moindre opportunité pour s’enfuir. »


Il y a déjà eu plusieurs tentatives de mutinerie au cours des derniers mois. Fréquemment, un des djihadistes attire les gardes kurdes en faisant semblant de mourir. Quand les portes s’ouvrent, les prisonniers attaquent. Partout dans la prison, il faut rester prudent, particulièrement dans l’hôpital, où près de 300 prisonniers sont entassés. Un garde témoigne : « Parmi eux, il y en a beaucoup qui sont blessées à cause de la guerre, et beaucoup qui sont malades. Certains ont des éclats dans le corps, et on les opère. D’autres ont des maladies comme de la fièvre ou un rhume. »


De nombreux patients sont extrêmement maigres, ils doivent souffrir de malnutrition. Il y a beaucoup de blessés par balles dans cet hôpital, beaucoup de personnes avec des fixateurs externes, des plaies au niveau des bras ou des jambes. Il y a une odeur très, très forte, et on doit porter des masques. Les patients n’ont qu’une toilette alors qu’ils sont 300 dans cette salle. Au milieu de tous ces malades, Charles a pu interviewer Abdallah, un jeune djihadiste belge de 24 ans détenu depuis neuf mois et qui a rejoint l’Etat Islamique en 2014.


C.V. : Est-ce que tu as des regrets d’être venu en Syrie ?


Abdallah : Non, parce que je suis venu pour apporter mon aide. Comme quand la coalition est venue aider les Kurdes. Partout y a les gentils et les méchants. Bien sûr, au début, j’étais avec l’EI, endoctriné, comme dans un film. Je pensais qu’on allait s’emparer du monde. La propagande de l’EI, comme vous le savez, embellit beaucoup les choses. On nous dit de venir, que tout ira bien. Et quand on arrive, si on ne prend pas les armes, ils nous tuent ou nous mettent en prison. Si on ne fait pas telle ou telle chose… On ne peut pas discuter avec eux. Par exemple, les attaques en Belgique, si on discute de quelque chose, c’est mal vu. On ne peut pas s’exprimer.


C.V. : Et qu’est-ce que tu penses des attaques terroristes en Europe, qui visaient des innocents ?


Abdallah : J’ai enterré quatre ou cinq corps de bébés à Baghouz. J’ai vu de mes propres yeux des centaines de femmes sans jambes, sans bras, décapitées. Tuer des innocents, des deux côtés, c’est pas bien, je suis contre. Ce qui est arrivé aux Belges à l’aéroport et aux Français est horrible, c’est sûr. Je regrette d’être venu pour faire la guerre, d’avoir combattu, d’avoir détruit mon corps, ma vie. J’ai abandonné ma mère. Bien sûr que je regrette. J’étais jeune, naïf, indécis, je ne croyais en rien.


Nous nous sommes ensuite rendus dans l’immense camp d’Al-Hol, où vivent les familles de l’État islamique, principalement des femmes et des enfants. 70.000 personnes vivent ici dans des conditions extrêmement précaires. On y trouve notamment le marché pour les femmes étrangères et leur famille. Elles y achètent des vêtements et de la nourriture. Il y a également un magasin dans lequel les femmes peuvent retirer de l’argent qu’on leur envoie depuis l’étranger.


Notre reporter s’est entretenu avec l’une d’entre elles.


Femme de djihadiste : On a du mal à se chauffer parce qu’il fait très, très froid. On se vêtit de bouts de tissus et ils ne nous donnent pas à manger, ou on mange des produits qui nous donnent la diarrhée pendant des semaines. En fait, il n’y a pas beaucoup d’associations humanitaires qui viennent. On n’a pas de médecin, pas d’hôpital. 


C.V. : Qu’est-ce que vous faisiez au sein de l’État islamique ? Est-ce que vous aviez un travail ?


Femme de djihadiste : Moi, j’étais à la maison. On était à la maison. Faire des gosses tous les ans, faire le ménage, à manger… Une vie de femme. Franchement, c’était bien, on vivait bien. On avait chacune nos appartements, on vivait avec nos maris et nos enfants. Il y avait des parcs, des hôpitaux, des écoles. C’était une vie normale, comme en France, sauf qu’on pouvait vivre notre islam en paix. C’est seulement quand ils ont commencé à attaquer Racca que les gens ont commencé à fuir et qu’on a vraiment ressenti la guerre.


Comme beaucoup de djihadistes, ces Françaises originaires de la région parisienne et du sud de la France continuent de défendre leur mode de vie sous le règne de l’État islamique. Mais face à la caméra, elles critiquent aussi Daech.


Femme de djihadiste : Je regrette vraiment d’être affiliée à eux. Ils ne me représentent pas et je ne les représente pas. Pour moi, ce n’est pas ça, l’islam. Les attentats-suicides, c’est interdit, Voir quelqu’un se faire décapiter, c’est pas naturel. C’est pas naturel, évidemment ça fait quelque chose. Après c’est sûr que notre discours n’est pas très crédible au vu de la situation. Tout le monde pense qu’on est dans la même idéologie.


C.V. : Vous regrettez d’être venues ?


Femme de djihadiste : Quand je regarde mon fils, non, je ne regrette pas, parce que c’est le destin. Mais oui, je regrette de les avoir crus. Je leur en veux. Je ne suis pas une repentie, je ne regrette pas ce que j’ai fait, j’assume. Je suis contente du parcours que j’ai eu parce que j’ai appris beaucoup de choses.


C.V. : Vous avez essayé de quitter l’État islamique ?


Femme de djihadiste : Bien sûr ! C’était un cauchemar de rester là-bas. Qui n’a pas essayé ? Il n’y avait pas à manger, on n’avait pas de couches, il faisait froid. Même sans ça, on a essayé de partir, parce que ce n’était plus possible. Ce n’était plus possible, ce n’était pas une vie.  Ce n’était plus comme au début, où ils garantissaient notre sécurité, où on vivait en paix. Ils étaient devenus complètement injustes dans leur manière de faire. Ils étaient devenus nos oppresseurs, plus que la coalition. Finalement, on n’avait plus d’alliés, donc on voulait vraiment partir de chez eux. Malheureusement, ils nous coupaient la route. Si on essayait de partir, ils nous mettaient en prison. Moi, j’étais en prison chez eux parce qu’on a voulu partir, jusqu’à qu’on se retrouve ici. On nous demande de justifier des actes qu’on n’a pas commis et de purger une peine en France. Donc d’être séparées des enfants, une chose qu’on n’accepte pas. On n’a rien commis. Si on peut rentrer pour mener une vie normale avec nos familles, il n’y a pas de problème, mais si c’est pour entrer dans une spirale judiciaire qui va nous faire encore plus de mal que ces cinq ans de guerre, on ne veut pas rentrer en France.