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Enlèvements avec rançon, otages, négociations des États… comment ça marche ?

Comment se passe la négociation d’otage avec une organisation criminelle ou terroriste ? On a posé la question au chercheur Étienne Dignat alors que le Français Olivier Dubois, retenu en otage au Mali par une alliance djihadistes depuis 23 mois, vient d’être libéré.
Publié le
21
/
03
/
2023

Les négociations d'otages sont les négociations les plus complexes au monde


Négocier un otage est un processus extrêmement long et complexe. Le chercheur Étienne Dignat est l’auteur de “La Rançon de la terreur: gouverner le marché des otages”. Il revient sur ce processus: “Pour négocier un otage, vous devez à la fois identifier le ravisseur, créer un canal de communication avec lui, quitte à passer par des intermédiaires, ce qui peut fortement compliquer la tâche, puisqu'on a vu par le passé que plusieurs réseaux d'intermédiaires cherchaient à accaparer une affaire”. 

Sophie Pétronin otage au Mali


Vient ensuite la phase de négociation: “Elle peut être très longue, parfois plusieurs années, et vous avez des ravisseurs qui mènent un jeu de dupes avec les États ou les assureurs. Ils manient la menace, l'intimidation. Ils prennent contact avec vous plusieurs fois par jour ou plus du tout pendant plusieurs mois. Ce sont des négociations qui sont particulièrement complexes et qui n'obéissent à aucune règle préétablie”. 


Libérer un journaliste pris en otage


Dans le cas où l’otage est un journaliste français, la procédure est généralement la suivante. “Il y a de fortes chances que l'Etat français se mobilise pour vous secourir, qu'il cherche à identifier les ravisseurs, à créer un canal de discussions, voire à payer, puisque la France est plutôt catégorisée dans les pays qui négocient et payent généralement les ravisseurs” indique Étienne Dignat. 

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En revanche, si vous êtes un journaliste américain ou anglais, la procédure sera différente. “Il y a de fortes chances que votre État ne paye pas pour vous libérer. Les Américains comme le Royaume-Uni font partie des pays qui prônent la fermeté en matière de négociations avec les groupes terroristes. Pour deux raisons. La première, c'est qu'ils suivent le principe selon lequel on ne traite pas avec les organisations terroristes, on ne négocie pas terroristes. Et la deuxième raison, c'est qu'ils craignent les conséquences des paiements, soit parce que ces paiements encourageraient les ravisseurs à continuer les enlèvements, soit parce que ces paiements les renforceraient”


Prise d’otage d’humanitaire: comment ça se passe?


Si vous êtes humanitaire, il y a deux solutions. Ou bien votre employeur va essayer de vous notamment si vous êtes pris en otage par une organisation criminelle, car il sera autorisé à payer. Si vous êtes pris par une organisation terroriste, il ne sera normalement pas autorisé à payer et c'est votre État de citoyenneté qui prendra le relais. Il se mobilisera également, mais avec une mobilisation médiatique qui va être moindre, peut-être avec des moyens qui seront différents” détaille le chercheur. 


Il existe également d’autres types d’enlèvements: ceux perpétrés par des organisations criminelles par exemple. “Dans ce cas précis, ce ne sont pas les États qui paient, ce sont les familles, ce sont les employeurs ou ce sont des assureurs privés auxquels ils ont recours. Le problème, c'est qu'aujourd'hui, quand vous avez affaire à une organisation terroriste, ces paiements dits privés sont interdits. C'est-à-dire que les Américains ont régulièrement menacé des familles d'otages de poursuites s'ils décidaient de payer pour secourir leur fils qui avait été pris par l'Etat islamique. C'est notamment le cas du journaliste James Foley”. 

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Autre type de prise d’otages: les cas où ce sont des États qui prennent des otages. “L'Iran, notamment, est spécialiste de la prise d'otage. Vous avez une vingtaine de binationaux qui ont été enlevés en Iran ces dernières années. Et vous avez encore 7 Français qui sont retenus en Iran” explique Étienne Dignat. Ce sont des gens qui ont été arrêtés, qu'on a inculpés pour des faux motifs, par exemple espionnage, atteinte à la sûreté de l'État, et qui vont en fait être rançonnés. Ça peut être contre des avoirs qui étaient précédemment gelés, des libérations de prisonniers, ça peut être contre un engagement à ne pas intervenir dans les affaires iraniennes”. 


Combien coûte un otage ?


Combien faut-il payer pour libérer un otage ? “Une vie humaine, dans l'absolu, est évidemment sacrée c'est-à-dire qu'elle n'a pas de prix. Néanmoins, les ravisseurs cherchent à imposer leur prix. Et ça dépend de la nationalité de la personne, de son âge, de son statut et de qui va négocier pour le libérer. On observe par exemple qu'un otage peut valoir entre quelques dizaines ou centaines de milliers d'euros en Colombie, quand nous avons affaire à des guérillas, et plusieurs millions d'euros, par exemple au Sahel” précise Étienne Dignat. 


Il n’est pas possible de connaître les sommes payées aux ravisseurs par l’Etat français lors de libérations. “Il est très difficile d'avoir des chiffres très précis. on soupçonne et Areva d'avoir payé plus de 40 millions d'euros pour libérer sept otages français qui avaient été retenus au Niger au début des années 2010” ajoute tout de même le chercheur.


Payer apparaît néanmoins comme étant un élément central dans la libération d’otages français, selon Étienne Dignat, qui précise: “Ne pas payer conduit généralement à la mort des otages”. Il prend l’exemple de l’Etat islamique en 2014 qui avait réuni 23 otages occidentaux dans ses prisons. “Sur ces 23 otages occidentaux, vous aviez 15 ressortissants de pays qui ont tendance à payer. Ces 15 ressortissants ont été libérés, dont 4 Français. À l'inverse, vous aviez 8 ressortissants de pays de tradition de fermeté, et notamment des Britanniques et des Américains. Ces 8 otages ont été tués, ils sont morts en captivité, avec une exécution très célèbre, celle du journaliste américain James Foley”. 


Si payer pour libérer la personne retenue est majoritairement ce qui est réalisé par le gouvernement français, il arrive que ce dernier ait recours à la force. “On a vu plusieurs cas, notamment en 2010 au Niger ou encore plus récemment au Burkina Faso, en 2019, où deux otages français avaient été secourus par les membres du commando Hubert et nous avions à ce moment-là perdu deux soldats. Le secours par la force permet habituellement de sortir par le haut du dilemme imposé par les ravisseurs et nous permet à la fois de ne pas les payer mais également de ramener les otages. C'est néanmoins une tactique qui est très risquée” conclut Étienne Dignat.