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Mort d’Adama Traoré : toute l’histoire
Mort d’Adama Traoré : Assa Traoré raconte
Le 19 juillet 2016, Adama Traoré est mort après un plaquage ventral de quatre gendarmes. Quatre ans plus tard, il est devenu un symbole des violences policières en France, et sa sœur mène le combat pour obtenir justice.
Ils étaient plus de 20.000 manifestants, le 2 juin, à se rassembler devant le tribunal de Paris pour protester contre les violences policières, à l’appel du Comité « La Vérité pour Adama ». Il y a presque quatre ans, Adama Traoré, jeune homme, noir, est mort après un plaquage ventral effectué par des gendarmes blancs.
Depuis, les expertises et contre-expertises sur les causes de sa mort se sont multipliées. Mais le 2 juin, une nouvelle contre-expertise estime que le plaquage ventral des gendarmes est bien à l’origine de la mort du jeune homme. Aucun procès n'est prévu à ce jour. Assa Traoré, sœur d’Adama, nous explique en détails comment tout s’est déroulé depuis quatre ans.
19 juillet 2016 : le coup de fil
Tout commence le 19 juillet 2016, vers 19h. « J'appelle chez moi pour avoir des nouvelles de mes enfants, et là, ma mère me dit quelque chose d'assez troublant. Elle me dit : ‘’Adama a fait un malaise, on se rend à l'hôpital tout de suite.’’ Dans la nuit, quelques heures après, ma petite sœur m'appelle en pleurs. J'ai donné le téléphone à ma collègue Sonia. Elle prend le téléphone, et là, elle me dit : ‘’Ton frère est mort.’’ »
Ce jour-là, c’est l’anniversaire d’Adama. Il a 24 ans. « Il a envie de faire un tour de vélo... Il met une chemise à fleurs, un bermuda, un bob, et il va se balader. Quand il arrive dans le centre-ville de Beaumont, il voit Bagui, mon petit frère, se faire interpeller par la police sur une terrasse de café. Malheureusement, ce jour-là, Adama n’a pas son bouclier, son gilet pare-balles, ce qui aurait pu lui sauver la vie : une pièce d'identité. »
Le jeune homme s’enfuit alors à toute vitesse. « On ne sait toujours pas pourquoi les gendarmes lui ont couru après alors qu'il n'y avait pas de demande d'interpellation. Il n'était pas en infraction. Il était juste en train de faire un tour de vélo. » L'interpellation se fait alors en deux temps. D’abord, Adama est interpellé devant la mairie de Persan-Beaumont, où il est roué de coups par les gendarmes, en civil.
« Un individu qu'on connaît passe et pense qu'Adama se fait agresser par des hommes. Il tentede défendre Adama. Et Adama va prendre cette occasion pour aller se réfugier dans un appartement d'une personne qu'il connaît. » C’est là qu’a lieu la seconde interpellation. Les gendarmes rentrent dans l’appartement et effectuent un plaquage ventral sur le jeune homme. « Ce que je vous dis là, c'est ce que les gendarmes ont dit le soir de la mort de mon petit frère : ‘’Adama a porté le poids de nos trois corps.’’ »
Après son interpellation, Adama Traoré est transféré à la gendarmerie de Persan. « Les pompiers nous apportent une lumière sur les mensonges des gendarmes qui nous disaient auparavant qu'ils lui avaient apporté les premiers soins. C’est faux. Quand les pompiers arrivent dans cette cour de gendarmerie, Adama a le ventre contre le sol, les menottes aux poignets. Ils n'ont donc pas pu le mettre en position de PLS et lui apporter les premiers soins. »
La mort officielle d’Adama Traoré est déclarée à 19h05. Commence alors un rassemblement devant la gendarmerie, les proches de la victime demandent à le voir. « Aux alentours de 23h, mon petit frère Yakuba va bloquer la porte de la gendarmerie. Il va voir un gradé et lui dit : ‘’On veut voir Adama Traoré.’’ C'est là que le gradé dit à Tata et à Yakuba qu'Adama Traoré est mort. Ma mère se jette par terre, hurle, Yakuba pareil. On les sort, on les gaze, on gaze la foule. Et c'est là que le combat Adama va commencer. »
21 juillet : parole contre parole
Yves Jannier, procureur de la République de Pontoise en 2016, déclare à propos d’Adama Traoré que « des foyers infectieux situés sur plusieurs organes ont été relevés lors de l'autopsie » et que « le légiste indique qu'il n'y a pas de lésion faisant penser à des violences ».
« Nous savons tout de suite que le procureur Yves Jannier ment. Et là, on va dire non. On va dire que c'est faux et on va exiger et demander une deuxième autopsie, qui sorti quelques jours après. Notre avocat maître Yassine Bouzrou va demander à ce que le procureur Yves Jannier soit dessaisi de l'affaire. » Yves Jannier est en effet dessaisi de l'affaire et muté. Commence alors une vague de révoltes dans le Val-d'Oise. Des personnes sont interpellées, des voitures incendiées. Les habitants de Beaumont, Persan, Champagne et de toutes les villes limitrophes vont exprimer leur colère.
Quand on lui demande ce qu’elle pense de ces révoltes, Assa Traoré répond qu’elle désire rester concentrer sur son combat pour la justice et la reconnaissance du meurtre de son frère. « Moi, ce que je dis et ce que je continue à dire encore aujourd'hui, c’est que ce n'est pas cette violence-là qui m'intéresse. C'est la première des violences que mon frère a subie qu'il faut dénoncer. La violence appelle la violence. Ceux qui ont apporté la première violence, ce sont les gendarmes. C'est celle-là qui m'intéresse. La deuxième, elle ne me concerne pas. »
De son côté, l’avocate des gendarmes, Caty Richard, affirment qu’ils n’ont pas usé de violence contre Adama Traoré et que les conditions d’interpellation étaient normales. « On a compris qu'Adama Traoré n'était plus une victime mais un coupable et que les gendarmes étaient eux les victimes. Ils vont inverser les rôles », réagit Assa Traoré.
5 novembre 2016 : les premières manifestations
À ce moment-là déjà, Brut suivait Assa Traoré lors des manifestations à Paris pour rendre justice à son frère. « Si on a eu ce procureur dessaisi de notre affaire, si on a eu tous ces mensonges qui ont ramené à une vérité, c'est qu'il s'est forcément passé quelque chose. Et ça, on en est persuadés. Et on ira jusqu'au bout », déclarait alors la militante.
Aujourd’hui, elle admet qu’elle était loin de se douter que la bataille durerait si longtemps, et qu’elle prendrait tellement d’ampleur. « Pas une seule fois je me suis dit que, quatre ans après, on serait encore là dans le combat. Nous, on qualifie tout ce système comme "machine de guerre". Une "machine de guerre" qui s'est mise en face de nous et qui a créé en nous des soldats. On a compris que la justice n'allait pas nous aider et qu’elle se mettait du côté des gendarmes. »
Comment est mort Adama Traoré ? Le 29 mai dernier, un rapport médical disculpe les gendarmes et conclut à un œdème cardiogénique, une fragilité du cœur. Mais trois jours plus tard, la famille d'Adama Traoré publie une contre-expertise indépendante. Cette fois, pour les médecins, c'est le plaquage ventral des gendarmes qui est à l'origine de l'asphyxie d'Adama Traoré.
2 juin 2020 : la jeunesse dans la rue
« Aujourd'hui, je pense que l'affaire Adama Traoré est représentative d'un très grand mal-être de cette France au niveau de la jeunesse, au niveau de la discrimination, au niveau de la cause raciale, au niveau de la précarité, au niveau de l'injustice », affirme Assa Traoré.
Le 5 juin, Le Parisien a révélé que les juges envisagent d'entendre début juillet deux témoins clés de l'affaire. Aucune reconstitution des faits dans l'affaire Adama Traoré n'a eu lieu jusqu'à présent. Aucun procès n'est prévu à ce jour. « On a tué Adama, on a tué mon petit frère, mais on ne tuera jamais le nom de mon frère. Et j'ai dit que je ferai du nom de mon frère un symbole. »