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Penser demain : l'agriculture selon Hélène Le Teno

Une agriculture qui concilie juste rémunération des agriculteurs et alimentation plus saine : #PenserDemain épisode 2.
Publié le
01
/
05
/
2020

Penser demain avec Hélène Le Teno


Pour l’ingénieure et spécialiste des transitions écologiques et numériques, il est impératif de repenser notre modèle agricole.


« Pour 100 euros d'achats alimentaires en France, seuls 8 euros vont à l'agriculteur. Ce sont des données de l'Observatoire français des marges. C'est extrêmement peu, c'est parce qu'on est dans des circuits longs », observe Hélène Le Teno, ingénieure et spécialiste des transitions écologiques et numériques. Pour Brut, elle explique pourquoi, selon elle, il est impératif de repenser notre modèle agricole.


« Dans le secteur agricole et alimentaire, les lobbys sont extrêmement puissants »


L'agriculteur a besoin de vivre de son métier, le consommateur a besoin d'une alimentation saine. À la jonction des deux, quelles sont les nouvelles solutions qu'on peut imaginer ? Il y a deux positions qui s'affrontent. Il y a : « Il faut absolument relancer le plus vite possible après le Covid-19 et revenir à l'identique et à la pleine croissance. » Et d'autres qui diraient : « C'est l'occasion rêvée de faire la révolution verte. » On est dans un débat très polarisé où on n'arrive plus à réfléchir sainement.


Dans le secteur agricole et alimentaire, les rapports de force, mots élégants pour dire les lobbys, sont extrêmement puissants. Et donc, toute tentative de changement ou de transition et de transformation dans une approche « David contre Goliath » est plutôt vouée à l'échec. Les acteurs de la chaîne agro-alimentaire présentent des très fortes concentrations à certains endroits. Les grandes coopératives agricoles, les très gros fournisseurs d'intrants, les géants de la grande distribution...


« Le renouvellement des générations est un enjeu crucial »


Ces rapports de force inégaux dans les négociations font que nous ne sommes pas dans des systèmes harmonieux. Pour arriver à des systèmes agricoles et alimentaires plus harmonieux, quels seraient peut-être des leviers de transformation positive ? Je vais en citer quelques-uns.


Le premier, c'est que, à supposer que les Français aient envie d'une assiette délicieuse, bonne pour la planète et bonne pour la santé, encore faut-il que l'ensemble de la profession agricole puisse et veuille la produire. Qu'elle veuille est une chose, qu'elle sache en est une autre. L'attention portée à la transition des compétences est majeure. Pourquoi ? Parce qu'en agriculture, le renouvellement des générations est un enjeu crucial.


Partout où des agriculteurs âgés s'en vont, bien souvent, ce qu'il se passe, c'est une extension des fermes. Autrement dit, un rachat des terres par des voisins ou par des holdings foncières.


« L'agriculture n'est pas un métier qui s'apprend sur les bancs de l'école en trois mois »


Aujourd'hui, l'accompagnement à la formation des agriculteurs et notamment à des pratiques viables, durables, est largement insuffisant, largement sous-financé. C'est une des raisons pour lesquelles des structures comme « Fermes d'avenir » ont mis en place de compagnonnage, parce que l'agriculture n'est pas un métier qui s'apprend sur les bancs de l'école en trois mois.


Deuxième clé : le pouvoir de choisir. Bien entendu que du côté du consommateur, le pouvoir de choisir est plus important que le pouvoir d'achat. Certains diront : « Si je n'arrive pas à boucler les fins de mois, je ne peux plus », c'est vrai. Sauf que des études très sérieuses de l'Inra et de Yuna Chiffoleau nous montrent que l'ensemble des Français font de plus en plus appel aux circuits courts. Pas seulement les personnes les plus aisées. Les circuits courts, c'est quoi ? C'est le drive fermier, c'est la vente à la ferme, c'est le marché à côté de chez soi, c'est l'Amap, c'est plein d'autres circuits numériques.


Aider l’agriculteur qui veut changer de pratiques ou le jeune agriculteur qui s'installe


Troisième levier : le financement de l'agriculture qu'on souhaite pour demain. Savoir comment faire si un agriculteur veut changer de pratiques ou si un jeune agriculteur veut s'installer. La plateforme de financement participatif Blue Bees, c'est une plateforme de crowdfunding dédiée à l'agro-écologie. On peut, avec son propre argent, en don ou en prêt, soutenir des agriculteurs jeunes et moins jeunes qui s'installent ou qui transforment leur exploitation. C'est un pouvoir d'agir à travers le financement que je trouve extrêmement intéressant dans une phase de transition.


« Sortir de la dépendance aux énergies fossiles »


Une deuxième question plus structurante sur le financement de l'agriculture, c’est qu’aujourd'hui, on nous dit : « L'avenir de l'agriculture, c'est la technologie, le drone, l'intelligence artificielle, les capteurs dans les champs. » Loin de moi l'idée de dire qu'il ne faut pas plus de technique ou de technologie en agriculture, mais il en faut certainement moins, et aux bons endroits.


Moins, pourquoi ? Pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles plus vite, ou en tout cas ne pas l'aggraver. Moins pour avoir une agriculture résiliente, moins pour laisser la place à la science à l'agro-écologie et pas seulement à la technique.


« Il manque une entreprise coopérative agricole »


Enfin, dernier levier, l'évolution des modèles de gouvernance en agriculture. Une entreprise agricole aujourd'hui, c'est très souvent une EARL, une entreprise agricole à responsabilité limitée, ou un GAEC, une entreprise agricole en collectif. Il manque quelque chose. Il manque une entreprise coopérative agricole dans le bon sens du terme.


La prise de risques en agriculture est déjà forte, elle le sera encore plus demain avec des tensions sur le pouvoir d'achat ou sur la météo et le climat et sur l'effondrement de la biodiversité. Est-ce qu'on souhaite que tous nos agriculteurs soient en risque permanent ou est-ce qu'on souhaite voir éclore des modèles d'entreprises différents en agriculture ?


Je pense qu'une des clés du succès, c'est que l'agriculture s'inspire de tout ce qui a été fait de fantastique dans l'économie sociale et dans les modèles de gouvernance un peu nouveaux qu'on voit fleurir partout. Moi, je reste extrêmement optimiste sur la capacité de l'agriculture à traverser des époques extrêmement complexes.