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3 clichés sur les banlieusards démontés par Matthieu Longatte

"Et déjà de vouloir faire parler tous les banlieusards de banlieue, c’est cliché Brut hein."
Publié le
12
/
09
/
2020

Trois clichés sur les banlieusards démontés par Matthieu Longatte


On le connaît pour sa chaîne YouTube Bonjour Tristesse, il est désormais réalisateur, avec la série « Nfarvalo ». Il a grandi en banlieue, et certains clichés l’agacent.


Matthieu Longatte est taquin. « Vouloir faire parler tous les banlieusards de banlieue, c’est cliché Brut ! » Touchés. Mais le réalisateur joue quand même le jeu de l’interview. Lui qui a grandi à Trappes et dont la série Narvalo se passe « en banlieue » démonte trois clichés encore largement répandus sur ces zones de France.


Les banlieusards vivent tous en cité


On présente toujours la banlieue comme s’il n’y avait aucun mélange, alors que c’est pas vrai, c’est pas étanche. On est ensemble au collège parce qu’on a inventé l’école républicaine. C’était davantage le cas avant, parce que Sarkozy a tué la carte scolaire. Mais à la base, ça avait cette utilité-là, aussi, de créer du mixe social.


Ça participe beaucoup de qui je suis. Je suis quelqu’un qui a grandi en pavillon, donc je suis clairement de la classe moyenne. Et par mon parcours de vie, notamment par le football, par le collège et parce que je me suis retrouvé dans l’équipe d’improvisation des juniors de Trappes… Je me suis retrouvé à passer une bonne partie de ma jeunesse en bas de bâtiments de cités, avec des mecs de cités.


J’ai autant de potes qui viennent de pavillons que de potes qui viennent de cités. Et c’est vrai que c’est important pour moi. Je ne sais pas si je suis quelqu’un de riche, mais très clairement, ce parcours participe de ma richesse et participe de ma capacité à me distinguer de plein d’autres gens.


Il y a un autre cliché qu’il n’y aurait qu’une seule banlieue. C’est un petit peu aberrant, parce que Neuilly, c’est la banlieue, mais Chanteloup-les-Vignes ou Les Mureaux, ou Élancourt, dans le 78, c’est la banlieue aussi, et ça n’a vraiment rien à voir !


Il y a une vision complètement monochrome à tous points de vue, que ce soit social ou ethnique, de la banlieue, alors que c’est beaucoup plus riche que ça en a l’air. C’est aussi pour ça qu’il y a autant d’artistes qui émergent de banlieue, parce que la richesse, la diversité culturelle ou sociale, ou même géographique, fait qu’on a peut-être une capacité d’adaptation plus importante que dans d’autres zones.


Les banlieusards ne savent pas s’exprimer


On est quasiment les prototypes des jeunes qui ne savent pas parler en France. Alors qu’en vrai, on a un rapport très libertaire au langage. On surutilise le langage, on le tord… La plupart des expressions viennent d’une ville de banlieue, puis elles rayonnent en banlieue, puis elles rayonnent dans toute la France, en passant par Paris entre temps.


Typiquement, le titre de ma série, c’est Narvalo. À la base, « narvalo », c’est un mot qui vient de la communauté gitane. Ça s’est beaucoup répondu vers Montreuil, dans ce coin-là du 93, parce qu’il y avait une grosse communauté gitane. Là, ça fait 5, 10 ans que ça rayonne partout en Île-de-France, voire en France.


Après, c’est marrant, parce qu’il y a des expressions qui restent coincées dans un département. Par exemple, dans le 78, on dit beaucoup « kiss man ». On dit : « Oh lui, c’est un kiss man » pour dire que c’est quelqu’un de bien. Et cette expression n’a jamais bougé des frontières du 78. Il y a un mec qui dit ça, c’est un mec du 78, c’est sûr.


Et que ce soit le parler « banlieusard », l’espèce d’accent qu’on peut avoir et qu’on peut tenir sur toute une vie, ou la manière d’employer les mots, c’est quelque chose qui est énormément imité à l’échelle nationale.


Dans le langage, il y a aussi cet aspect où on doit beaucoup meubler le temps. Nous, nos bus, c’est toutes les heures. On attend le premier train à Montparnasse le matin, des trucs comme ça. Alors on doit meubler tout ce temps-là, et c’est vrai que ça nous amène à raconter des histoires.


On vit des anecdotes un peu incroyables pour meubler cet ennui. Et on passe beaucoup de temps à se re-raconter ces anecdotes. C’est des groupes de jeunes, entre 15 et 18 ans, ça raconte autant la jeunesse que la banlieue, mais peut-être particulièrement en banlieue. La parole, il faut réussir à aller la chercher.


Il n’y a que de la violence en banlieue


C’est faux à plein d’égards. Déjà, en banlieue, on a regroupé une quantité de pauvres absolument invraisemblable au milieu de no man’s lands. Dans un quartier comme le Val Fourré – je crois que c’est une des plus grosses cités d’Europe – il y a quand même plus de 20.000 habitants en situation de précarité qu’on met ensemble au milieu de quatre champs. Moi, je trouve que ça se passe plutôt bien. Du moins, ça pourrait aboutir à des résultats bien plus dramatiques d’avoir une politique urbaine aussi débile.


Surtout, on retrouve aussi, dans les cités, dans les quartiers, une mentalité de proximité humaine beaucoup plus importante. Pas quelque chose de l’ordre du village, mais un petit peu. Les gens se connaissent : si quelqu’un disparaît, on s’inquiète de sa disparition. Il y a de l’entraide, notamment avec la pandémie de Covid-19. Il y a eu beaucoup d’auto-organisation associative pour aller livrer des repas aux personnes les plus âgées ou les plus démunies, pour qu’ils aient encore de quoi se nourrir même s’ils avaient moins de revenus.


Il y a aussi une culture de la débrouillardise hyper importante en banlieue. On fait avec ce qu’on a, on s’adapte à la situation. On va aussi se débrouiller par les autres : chacun a un petit peu ses petites compétences : y en a un il sait faire de la mécanique, l’autre il sait faire ça, l’autre il sait faire des lettres de motiv’… Et voilà, chacun avec ses micro-compétences rend la vie un petit peu plus légère à son entourage !


Le seul message que j’aie à faire passer aux gens, c’est de garder son esprit ouvert et de prendre les êtres humains un par un. Je sais que c’est pas reposant pour le cerveau, qui est très angoissé par tout ce qu’il ne connaît pas, de pouvoir pré-ranger les gens dans des cases. Mais c’est un travail nécessaire, parce que ceux qui ne le font pas perdent l’occasion de rencontrer des gens différents et de s’enrichir.


La banlieue est un terreau de diversité, d’enrichissement personnel, de rayonnement culturel, de vie et d’humanité qui persiste et qui a une identité unique. Moi, je suis archi content d’avoir grandi en banlieue. J’aurais voulu grandir nulle part ailleurs. Et voilà.