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"Le consentement, je ne l'ai jamais donné" — Judith Godrèche

"Je viens de comprendre. Ce truc, le consentement, je ne l’ai jamais donné. Non. Jamais au grand jamais." Cette semaine, l’actrice Judith Godrèche a déposé plainte pour viol sur mineure de 15 ans contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon. Parallèlement à ces actions judiciaires elle a publié, dans le quotidien Le Monde, une lettre adressée à sa fille Tess, âgée de 18 ans. Une lettre qu’elle a lue pour Brut.
Publié le
09
/
02
/
2024

Ma chérie, je te regarde vivre, danser, t'exprimer avec fougue et ardeur. (...) Il n'y a pas si longtemps, tu avais 15 ans. Il n'y a pas si longtemps je taisais mon histoire”. Pour Brut, l’actrice Judith Godrèche lit la lettre destinée à sa fille Tess, 18 ans, et publiée dans le journal Le Monde. L’actrice a déposé plainte pour viol sur mineure de 15 ans à l’encontre des réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon. “À 15 ans, je naviguais dans un monde d'adultes. (...) L’un d’eux décidait pour moi. Lui, il n'était pas mes parents. Depuis toutes ces années, la peur des mots pas jolis, pas doux, pas métaphoreux me fait contourner la réalité. Depuis toute petite, le désir d'un ailleurs m'a poussée à lire, à écrire, être une autre. Cette autre n'est plus. Elle s'est éteinte en moi. Je ne peux plus incarner sa “couverture", sa carapace ondulante. J'ai longtemps ancré ma souffrance dans l'histoire d'un départ, un abandon, celui de ma mère. Même si cet accident de parcours fut déterminant, j'identifie aujourd'hui la place que cette douleur occupe comme l’arbre qui cache la forêt. Vois-tu, la forêt, c'est bien d'elle dont il s'agit, elle qui dictera le silence, les secrets, les trous noirs qui parcourent ma vie. C'est une forêt masculine, de conte de fées aux mains qui gouttent, une forêt de Maldoror” écrit Judith Godrèche. 

Judith Godrèche et sa fille, Tess Barthélémy


Une armure embrumée m'engloutit tout entière. Je sombre, le referme”


Quelle que soit la cruelle absurdité de ce vécu que je vais exposer au monde, quelles que soient les conséquences, le sordide du réel, la vérité qui éclate au grand jour comme on dit, quels que soient ces éléments-là et leur retentissement, ce que je sais, depuis toujours, c'est mon amour pour vous, Noé et toi. Cet amour-là me lance un défi. Et j'ai décidé d'être à la hauteur. Il y a bientôt quatre ans, mon amie Caroline m'a envoyé un livre, à Los Angeles. (...) Ce livre s'appelle Le Consentement. C'est drôle. C'est un mot que je ne connais pas. Ça veut dire quoi ? Je décide de le lire. Page après page, je me noie. Une armure embrumée m'engloutit tout entière. Je sombre, le referme. Des mois ont passé. Le Consentement est dorénavant dans la bibliothèque, domestiqué, sage. Je passe devant, le regarde, c'est assez. C'est curieux comme un cri peut s'amadouer, le cri de Vanessa, couché sur les pages. Contenu, poli, élégant, coincé entre The Story of the Jews et Regarding the Pain of Others, dans notre maison aux Amériques.” 

Comment s'assurer du consentement de l'autre ?


Depuis quelques années, il m'arrive de vous parler de mon enfance, la plupart du temps en tournant les choses en dérision, comme un clown, une acrobate. (...) À l'époque, je vous raconte à demi-mot l'histoire du Consentement, j'effleure le récit, le peu que j'en ai lu. Je tais ma tachycardie, mon envie de vomir, la température qui baisse. Après tout, notre caverne n'a pas besoin de ça, masser la vérité, fouiller dans les archives de mon cœur. Notre maison remplie d'animaux adoptés, résonante de vous, elle s'en fout de mon enfance et de l'homme à la fossette. Rien à foutre. Ça fait pas mal. Tu me demandes souvent pourquoi je refuse de te montrer mes films. Mais tu as raison. C'est une question qui devrait amener une réponse, une question que j'esquive maladroitement, que je balaie dans un petit rire. Parce qu'on vit notre vie ? Parce que je suis une autre ? Parce que je suis nue dedans ? "Et les livres” ? “Et tes livres” ? me demande Noé, “tu ne lis plus jamais". Dire tout ça à Noé, cette histoire-là, c'est encore plus dur, semble-t-il. Je ne lis plus jamais, oui. Mais je pense souvent à la possibilité de la violence. Comme une lecture de mes propres pensées. Celles que je tais. À ces gestes souverains. s’il devait t'arriver quelque chose. Si un homme qui ferait de toi sa maîtresse... Tuer un homme qui ferait de toi sa maîtresse à 14 ans. Tuer un homme qui abuserait ton frère” continue Judith Godrèche. 

Un livre d'éducation sexuelle pour parler de consentement aux enfants


Ouvrir les portes, donner des coups de pied au destin, nous sommes fortes et nous voulons que les choses changent, non ? Le consentement”


Le consentement. Ce silence sur le passé, ce Minotaure écrasant. Je croyais l'avoir amadoué, refoulé. "Refouler", dit-elle. Un été puis un autre ont passé. Je vous ai vus grandir. J’ai écrit une série pour Arte. Nous voici de retour dans la ville de mon enfance. La ville où vous êtes nés. C'est ici, au moment où cet objet cinématographique qui m'appartient voit le jour, que la vie décide de me jouer un tour. Vois-tu, ici, rien n'a changé. Pire encore ! Le système qui s'appropria mon enfance se complaît dans son narcissisme pervers. Et, comme si ma fuite me faisait un pied de nez, comme si la série que j'aime tant, Icon of French Cinema, avait pris la forme d'une amie, l'amie de La fille de 15 ans, tout doucement, comme une fée réparatrice, cette amie a me prend la main. Nous avons le droit d'être sentimentales toi et moi me dit-elle. Pour rattraper le temps perdu. Nous pouvons pleurer autant qu'on veut et raconter ce qui ne se dit pas, aussi, me confie-t-elle. Ouvrir les portes, donner des coups de pied au destin, nous sommes fortes et nous voulons que les choses changent, non ? Le consentement. Je la regarde du haut de mes 14 ans, elle sourit. Et, comme si de rien n'était, je comprends qu'il est temps de raconter mon histoire. Pour vous, pour toutes celles et ceux qui vivent encore dans un silence imposé. Dans la peur. Il est temps. Il faut que vous sachiez. Il faudra se cacher les yeux, par moments. J'espère que vous me pardonnerez. Je sais, il se fait tard, mais je viens de comprendre : ce truc, le consentement, je ne l'ai jamais donné. Non. Jamais au grand jamais. Alors, il est temps. Le désespoir de ma faiblesse passée, le désespoir de mon enfance volée, a trouvé sa voix, C'est l'histoire d'une fille de 14 ans à Paris dans les années 1990. Judith”

Le consentement, c'est aussi essentiel dans le couple