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Le premier jour en France de Mehdi Charef
Le premier jour en France de Mehdi Charef, né en Algérie
L’écrivain et réalisateur français raconte pour Brut ce jour de novembre 1962, où il est arrivé dans une cité HLM. Il avait 10 ans.
« On marchait, et puis à un moment donné, il commençait à sentir la boue. Et puis j'ai vu une espèce de cité fantôme, que je voyais, parce qu'il y avait des feux de cheminée noirs. C'était novembre, il faisait gris. Et puis mon père est rentré là-dedans, et puis j'ai vu que c'était que des baraques, c'étaient un bidonville », se souvient Mehdi Charef. Ce jour-là, il a 10 ans, et il arrive d’Algérie. C’est son premier jour en France, nous sommes en novembre 1962. Pour Brut, il raconte.
« Je ne pouvais pas pleurer parce que ça aurait fait de la peine à mon père »
C'était très dur parce que c'était novembre. Pour moi, tous les ans, c'est un mois difficile parce que je suis arrivé en novembre, et j'ai l'impression qu’il y avait le ciel gris juste au-dessus de la tête. J'ai eu l'impression qu'il avait duré six mois. Moi qui étais né au soleil, moi qui me baignais dans les rivières de la montagne, j'étais le prince dans ma montagne. J'étais un petit prince. Et je me suis retrouvé dans ce bidonville. Je ne pouvais pas pleurer non plus parce que ça aurait fait de la peine à mon père.
Après, je me suis habitué au quartier un petit peu, je sortais un peu. Ce qui était emmerdant, c'est qu'on avait toujours... Comme c'était de la boue, on avait toujours de la boue aux semelles des chaussures. Et quand cette boue séchait, ça faisait des traces blanches.
« On nous a fait venir pour remplacer nos parents »
À l'école, ils nous reconnaissaient. C'est l'école des Pâquerettes. C'est là que j'allais à l'école. Bien évidemment, ça a complètement changé. C'était une école en briques. Ils ont agrandi. Pendant la guerre d'Algérie, il n’y a plus eu d'école pendant les deux dernières années. C'étaient deux années de vacances. Quand on est arrivés en France, on était en retard de scolarité, donc on nous a mis dans une classe de rattrapage.
Et là, j'ai commencé à me demander ce que je pourrais faire en France. Parce que nous, on nous a fait venir pour remplacer nos parents. Et on nous a mis à l'école tôt pour qu'on sache lire et écrire. Parce que nos parents ne savaient pas lire et écrire. Il leur fallait une nouvelle génération qui sache lire et écrire parce qu’après les chantiers, ils voulaient nous mettre en usine. Et en usine, il faut savoir lire une fiche technique.
« Un jour, on s'est rendu compte qu'on pensait en français, qu'on parlait en français »
La langue, elle nous a eus, sans qu'on s'en rende compte. On parlait arabe. Et puis on a mis un mot de français, deux mots de français, trois mots de français. Et puis un jour, on s'est rendu compte qu'on pensait en français, qu'on parlait en français. Même dans la baraque. Alors que mes parents, on leur parlait en arabe. Mais entre frères et sœurs, on se parlait en français. C'est un moment incroyable.
Petit à petit, on s'est mis à oublier qu’on venait d'Algérie. On était conscients qu'on allait rester là. Personne n'osait dire à l'époque qu'on mourrait là, mais moi, je l'ai senti tout de suite. Quand je me suis retrouvé à 15 ans, encore au collège, on nous avait demandé un travail libre sur quelque chose qu'on aimait, qui nous touchait. J'avais écrit deux ou trois pages sur les athlètes américains qui avaient levé le poing pendant les Jeux olympiques. Le prof m'a dit : « C'est bien, c'est pas mal, c'est bien écrit. » Ça m'a encouragé à écrire des poèmes.
« Il y a toujours cette peau qu'on porte sur soi, la peau d'indigène »
C'est là que je me surpris à penser que je pouvais écrire. Mais on n'osait pas. Il y a toujours cette peau qu'on porte sur soi, la peau d'indigène. C'est quelque chose qui tire vers l'arrière. « Je ne suis pas chez moi... » J'ai eu du mal à faire lire tout ce que j'écrivais à l'époque. Et puis je n’avais pas d'exemple, il n’y avait pas quelqu'un qui l'avait fait avant. Et c’est pour ça que je l’ai fait ! À un moment, j'en pouvais plus.