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Philosophie de la rencontre amoureuse, par Charles Pépin – Brut Philo
“Il y a des signes qui distinguent une vraie rencontre d'un simple croisement, parce qu'on croise plein de gens, ça ne veut pas dire qu'on les rencontre” explique Charles Pépin, philosophe et auteur du livre La Rencontre. Selon le philosophe, le premier signe est que “je suis troublé, je ne m’attendais pas à ça. Cette personne ne correspond pas à ce que j'attendais et pourtant, elle me plaît. Ça, c'est le signe que la rencontre est en train de se faire.” Second signe : “c'est que je suis curieux et que soudain, moi qui suis très autocentré, très obsédé par moi-même, il y a quelqu'un qui m'intéresse vachement plus que moi. Soudain, je suis décentré et je me dis : waw, cette personne est dingue !" Ça, ce sont des signes est en train de naître, mais vous savez, ça peut foirer, ça peut ne pas marcher”.
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La “vraie” rencontre change profondément la personne
Les signes qui démontrent que la rencontre a véritablement eu lieu et qu’elle produit ses effets, “c'est tout simplement que j'ai changé, je me suis ouvert à d’autres parts de moi-même, je me sens agrandi, je me sens autre” décrit Charles Pépin. “En termes philosophiques, on dit que j'ai fait l'expérience de l'altérité. Ça veut dire que, par exemple, j'écoute une musique que j'adore autrement, je vois un film autrement, je fais la cuisine autrement, je fais l'amour un peu autrement, bref, j'ai changé”. A l’inverse, si après une rencontre, “vous n'avez pas changé dans vos habitudes sociales, ni bien votre idéologie, vos convictions politiques, votre manière de faire la cuisine, vivre au quotidien, de faire l'amour, si rien n'a changé en vous, mais que vous avez rencontré quelqu'un, je suis désolé de vous dire que vous n'avez rencontré personne. Vous avez juste croisé quelqu'un. Ça prendra le temps que ça prendra, mais ça n'est pas pour moi une véritable rencontre” affirme le philosophe.
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Pour faire de “vraies” rencontres, Charles Pépin déclare qu’il faut “réussir ouvrir son coeur, son esprit, son âme à ce qu'on n'attendait pas”. C’est en tout cela que réside le “secret” de la rencontre. Selon lui, faire des rencontres permet de “se rencontrer soi-même”. A l’inverse, “si on ne rencontre pas les bonnes personnes, on risque de passer à côté de soi”. Il prend l’exemple de l’écrivain Albert Camus qui tombe amoureux de la comédienne espagnole, Maria Casarès. Avant leur rencontre, Albert Camus “est nihiliste, il est indifférent, il écrit beaucoup de choses sur l'absurde et il est en train d'écrire un livre qui s'appelle l'homme révolté, et pour lui, l’homme révolté, c'est quelqu'un qui dit non à l'injustice, qui dit non au monde et qui a la colère du "non"”.
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“Les rencontres amoureuses nous permettent de nous rencontrer nous-même”
En rencontrant Maria Casarès et en tombant amoureux d’elle, l’écrivain “cela va lui permettre de développer au fond de lui une part joyeuse, une part de "oui", une part de légèreté qui était en lui, mais qui ne se révélait pas. Figurez-vous que ça va changer sa vie, mais ça va aussi changer son œuvre puisque L'Homme révolté va changer de thèse, ça va être l'homme du non et du oui, il dit non à plein de choses mais il dit oui à d'autres choses. Ce que je veux vous montrer par cet exemple, c'est que la rencontre, ce n'est pas simplement intéressant, sympa ou distrayant, c'est la condition pour devenir soi-même ! Camus, s'il n'avait pas rencontré Maria Casarès, il serait peut-être mort en passant à côté de la dimension solaire et joyeuse de lui-même. Les rencontres amoureuses nous permettent de nous rencontrer nous-même et finalement d'exprimer des parts de nous-même qui seraient peut-être restées en sommeil” déclare Charles Pépin.
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"Il me faut rencontrer ce qui n'est pas moi pour devenir moi”
Pour le philosophe, la rencontre n’est donc pas une option. Elle nous est essentielle. Elle est “vitale”. “Mais du coup, c'est angoissant parce qu'on se dit : les bonnes personnes, je vais passer à côté de moi-même !?" Eh bien je vais vous dire : C'est pour ça qu'il faut faire attention, qu'il faut sortir de chez soi, qu'il faut casser les bulles d'entre-soi et essayer d'aller un peu à la rencontre des autres. (...) Il faut aller provoquer le hasard. Il faut aller séduire le hasard, il faut le tenter. Ça veut dire qu'il faut parfois saisir les occasions que la vie nous donne pour changer de chemin, changer de groupe social, aller dans un endroit qui n'était pas prévu, changer de lieu de vacances... Et finalement, toujours se dire : si je suis dans la répétition tout le temps des mêmes schémas, je ne peux pas provoquer le hasard, je ne peux pas le séduire. L'essentiel, c'est de se dire : "Est-ce que je fais du hasard mon ami ? Est-ce que je fais du hasard mon allié ?"”.
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Être dans l’action, provoquer le hasard et faire tomber son masque
Pour Charles Pépin, “la rencontre amoureuse, elle dépend, quand même, beaucoup de nous pour trois grandes raisons. La première, c'est une logique d'action c'est-à-dire que si je ne sors pas de chez moi, si je m'enfonce dans le confort de mes petites habitudes, alors c'est sûr que je ne vais pas provoquer le hasard. Donc première condition est d’agir et de se bouger. Deuxième condition, c’est ce que j'appelle la disponibilité. Il faut cultiver une disponibilité intérieure, c'est-à-dire une ouverture par rapport à ce qu'on n'a pas encore découvert. C'est ça qui est compliqué, il faut se dire : "Je ne sais pas qui je vais rencontrer, je ne sais pas ce que l'avenir me réserve, mais ce sera peut-être bien. Je ne sais pas comment sera cette soirée, mais je vais quand même aller voir". C'est ce que je résume dans mon livre par le mantra “J'y vais, je vois”. “J'y vais”, c'est de l'action, “je vois”, c'est de l'observation.”
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“Et puis enfin, troisième condition : c'est ce que j'appelle la vulnérabilité. Autrement dit : “tomber le masque". On a un masque social : "Et toi, tu fais quoi dans la vie ?" Et à cette question, on répond tout le temps la même chose. Vous croyez que ça attire les gens d'entendre une phrase dont on entend qu'elle a déjà été balancée 50 fois ? Donc “tomber le masque", ça veut dire un peu se montrer comme on est, ne pas essayer de surjouer sa perfection, ni bien sûr se vautrer dans ses fragilités, mais tomber le masque et apparaître un peu dans sa réalité. En fait, une rencontre, elle est contingente. Cela veut dire qu'elle a lieu, mais elle aurait pu ne pas avoir lieu. D'où ma philosophie: qu'est-ce qu'on fait par rapport à ça ? Eh bah on va chercher la contingence, on va la provoquer, on sort de chez soi, on agit, on a des attentes mais on se rend disponible à ce qu'on n'attend pas et au lieu de montrer son masque social, toujours le même, on tombe le masque et on se laisse un peu apparaître. Moi, je ne crois pas à ceux qui disent "oui, c'est le destin", comme si on avait un destin pré-écrit. Mais pas du tout, on n'a aucun destin, rien n'est écrit !” conclut Charles Pépin.