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Il perd la vue et devient architecte d'intérieur
Eric Brun-Sanglard, architecte d’intérieur et non-voyant
À l’âge de 32 ans, on lui diagnostique une maladie rare, qui lui fait perdre la vue. Le designer raconte comment il s’en est sorti.
Eric Brun-Sanglard avait une brillante carrière dans la publicité de parfums à Los Angeles. « J’avais un bureau à Los Angeles, un bureau à New York, un bureau à Paris. Je rentrais de Paris et j'avais un problème sur mon oeil droit, comme une espèce de rideau qui descendait. Je suis allé voir un ophtalmologue, qui m’a annoncé que j’avais le CMV. » Le CMV, c’est le cytomégalovirus, une infection virale rapide et mortelle. Non seulement Eric va perdre la vue, mais on lui affirme qu’il ne lui reste plus que 15 jours à vivre. Des années plus tard, il est encore là, et il s’est même reconverti en architecte d’intérieur. Pour Brut, il raconte.
« La vue nous arrête sur des choses qui ne sont pas du tout essentielles »
C’était une journée de novembre, je me suis réveillé, et je ne voyais plus rien. Mes parents étaient là puisqu'ils savaient que j'allais petit à petit vers la fin. Mon médecin leur avait annoncé que j'avais une quinzaine de jours à vivre. Mais j'ai décidé, quelque part, que je n’avais pas pas fini ma vie, qu’il me restait quelque chose à faire. Et mon système immunitaire a commencé à refonctionner, à se battre contre ce virus. J'étais aveugle, certes, mais j'avais décidé que ce virus n'allait pas me tuer.
Souvent, je pense que la vue nous arrête sur des choses qui ne sont pas du tout essentielles. On va regarder un mur sans penser à la possibilité d’enlever ce mur pour ouvrir la maison. Moi, je suis déjà dans « l’âme », dans la possibilité de ce que cette maison pourrait être. Quand je rentre dans une nouvelle maison, je fais une espèce de diagnostic. Je vais essayer d'écouter, de comprendre, de sentir mon environnement. Et petit à petit, je vais m'approprier la maison en touchant, en allant vers les murs. Dans mon esprit, je vais faire une carte de cette maison.
Il utilise le son et les odeurs
Après, je vais me dire : « Bon, très bien. Maintenant, comment je vais pouvoir mesurer mon environnement ? » Je me rappelle de l'homme de Vitruve. Il nous donne deux positions : celle en croix dans un carré, qui nous dit que de mon doigt gauche à mon doigt droit, je retrouve exactement ma hauteur. Ça me permet de mesurer, où que je sois.
Ensuite, je vais écouter mon environnement : je vais peut-être entendre le bruit du frigidaire. Après, je vais utiliser les odeurs. Parce que tout a des odeurs. L’odeur d'une cuisine, l’odeur des matériaux, l'odeur du fer, l'odeur du cuir, l'odeur de certains bois... Et c’est comme si tous ces éléments m'apportaient les épices qui constituent un plat.
J'ai dû arrêter de travailler, étant aveugle, naturellement. J'avais un gros problème : j’avais commencé de gros travaux dans ma maison à Los Angeles, sur les collines, et je devais les finir. Sans même le savoir, tous ces points, les sons du frigidaire, les sons de la rue, les sons du moteur de la piscine, ces odeurs, devenaient mes nouveaux points cardinaux, me permettaient de me réapproprier cette maison. Alors j'ai pris la décision de la finir moi-même.
« J'ai commencé à travailler avec des gens très connus, des stars d’Hollywood »
Et après, je me suis dit : « Pourquoi ne pas essayer avec d'autres maisons ? » J'ai racheté des maisons plus petites, j'ai refait la même expérience, et, petit à petit, j’ai vendu ces maisons plus chères que le prix que je demandais. La presse aux États-Unis s'est emparée de cette histoire, de ma vie, de ce succès, et m'a énormément médiatisé. J'ai commencé à travailler avec des gens très connus, des stars d’Hollywood. C’est devenu une grande fierté et une passion.
Je pense que rien n'est impossible. C'est une question de perspective, c'est une question de volonté. C’est se dire, quand il y a un problème : « Quelle est la solution ? » Naturellement, il y aura des barrières, mais s'il y a des barrières, il y a des défis, et s'il y a des défis, il y a des leçons de vie.