Au Mexique, ces femmes se battent contre les féminicides

En 2019, 3.800 femmes ont été assassinées dans ce pays. Aujourd'hui, les Mexicaines dénoncent l'impunité des meurtriers et font éclater leur colère.
Publié le
24/4/2020
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Au Mexique, le combat des femmes contre les féminicides et l’impunité des assassins


En 2019, plus de 3.800 femmes ont été assassinées au Mexique. En moyenne, 10 femmes sont assassinées chaque jour. Et les coupables sont rarement punis. Aujourd’hui, les femmes se soulèvent.


« Ma fille a été tuée le 21 février 2018. Ils l'ont tuée et l'ont défigurée », raconte une manifestante. « Ma fille a rompu avec son petit ami mais il l'a piégée, il lui a dit qu'il l'invitait à une fête d'anniversaire et le jour de cette fête… Il l’a tuée », relate une autre. Ces mères ont accepté de témoigner pour Brut.


« Ils nous tuent, non pas parce que nous sommes riches, pauvres, belles ou laides. C'est une pandémie »


Notre reporter Charles Villa s’est rendu au Mexique pour rencontrer ces femmes endeuillées – et potentielles victimes – qui ont manifesté par milliers lors de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars dernier.


À l’heure actuelle et en moyenne, 10 femmes sont assassinées chaque jour au Mexique. Rien qu’en 2019, plus de 3.800 femmes ont été assassinées au Mexique. « Ils nous tuent, non pas parce que nous sommes riches, pauvres, belles ou laides. C'est une pandémie », assure une manifestante.


Violée puis sauvagement assassinée par un chauffeur du bus


Charles Villa a pu s’entretenir plus longuement avec la mère et la sœur de Vanessa Ruiz. Cette étudiante de 22 ans a été violée puis sauvagement assassinée le 1er février 2019 par le chauffeur du bus dans lequel elle se trouvait.


C’est sa mère qui prend la parole en première. « La mort de ma fille Vanessa a bouleversé les vies de toute la famille. C'est difficile de vivre avec l'absence d'une fille. Parce qu'on se demande si elle a souffert. Ça fait un mois maintenant que nous n'avons pas ouvert sa chambre. Parce que c'est comme si je ne voulais pas qu'elle parte. C'est comme si... on voulait croire qu'elle est encore là et que sa chambre n'a pas été ouverte. »


« Au Mexique, dans de nombreux cas, tuer une femme n'est pas aussi important que de tuer un homme »


Elle poursuit : « Quand nous allons dormir, je pense à elle. Nous nous réveillons et nous pensons à elle. On imagine qu'elle est là, dans sa chambre. Il me semble parfois que je perds la tête parce que je... Je lui parle et je réponds comme si elle le faisait. Je lui ai même envoyé quelques messages. J'imagine... comment elle serait aujourd'hui, elle serait déjà diplômée. Il n'y a aucun moment où on arrête de penser à elle. »


Puis sa fille prend la parole, et rappelle la scandaleuse situation des femmes dans le pays, dont les meurtres à répétition ne semblent pas choquer l’opinion. « Je pense qu'au Mexique, dans de nombreux cas, tuer une femme n'est pas aussi important que de tuer un homme. Et d'ailleurs, qu'en est-il des gens qui tuent des femmes et ne sont jamais punis ? Ils penseront que tuer une femme n'est vraiment pas grave, et que les autorités ne feront jamais rien. »


La police enquête peu, et la justice reconnaît très rarement le caractère genré des meurtres


Le paradoxe, c'est que le Mexique a déjà intégré dans son code pénal le féminicide, c'est-à-dire le fait de tuer une femme parce qu'elle est femme. Là-bas, les morts violentes de femmes sont censées faire l'objet d'enquêtes spécifiques, et les féminicides sont supposés être plus lourdement condamnés que de simples homicides.


Pourtant, toutes les femmes que notre reporter a rencontrées affirment qu’il règne une réelle impunité pour les assassins. D’après elles, la police n'enquête quasiment jamais, et la justice ne reconnaît que très rarement le caractère genré des meurtres.


« Un État qui nous a laissé tomber et qui a fait preuve d'un mépris et d'une indolence sans précédent »


« Au Mexique, les crimes contre les femmes restent impunis à 99 %, affirme une manifestante. C'est une époque où nous, les femmes, sommes seules, abandonnées par un État qui nous a laissé tomber et qui a fait preuve d'un mépris et d'une indolence sans précédent, violant clairement les lois et les traités internationaux.* »


« Aujourd'hui, la présence de jeunes femmes donne le ton. Elles sont à l'avant-garde, elles montrent de toutes leurs forces et que rien ne nous arrêtera. Nous allons faire tout ce qu'il faut pour sauver des vies. Si le gouvernement ne comprend toujours pas, nous allons un jour enfoncer cette porte et les forcer à comprendre. »


Plusieurs militantes féministes sont arrivées tout en noir, cagoulées, et ont commencé à jeter des projectiles sur les forces de l'ordre stationnées devant la porte du palais présidentiel. Et la police a riposté – majoritairement des femmes. Après ces échauffourées, de nombreuses femmes se sont mises à scander « fuera hombres » – « les hommes, dehors » en français – pour ordonner aux hommes d’évacuer la place.


« Je ne veux pas de ça pour ma génération »


Puis une dernière manifestante, en larmes, s’adresse à la caméra. « Ici, il y a des mères avec des filles de 16 ans, des filles de 15 ans, des filles de 13 ans. Elles battent aux côtés de leurs mères pour leurs droits, pour faire comprendre à quel point la situation est difficile et merdique dans tout notre pays. »


« Et elles disent : « Je ne veux pas cela pour ma fille. Je ne veux plus voir des femmes assassinées, je ne veux pas sortir dans la rue, je ne veux pas voir ma sœur à la télé. Je ne veux pas qu'il lui arrive quelque chose, je ne veux pas que mon amie ne revienne pas chez moi. Il y a des mères qui parfois cherchent leurs propres mères. Je ne veux pas de ça pour ma génération. »