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"Le violeur, c'est toi", hymne féministe mondial
Retour sur la chanson chilienne devenue hymne féministe mondial
L’écrivaine féministe colombienne Catalina Ruiz-Navarro analyse le succès de cette chanson de résistance à l’oppression machiste en Amérique latine.
« Et le violeur, c'est toi. C'est la police. Les juges. Le système. L'État oppresseur est un macho violeur. Le violeur, c'est toi. » Les paroles de cette chanson colombienne ont fait le tour des réseaux sociaux. Né au Chili, cet hymne féministe contre la violence sexiste a inspiré les femmes du monde entier, de Tunis à New York.
Catalina Ruiz-Navarro, écrivaine féministe colombienne, explique pourquoi ce sont les militantes latino-américaines qui ont mené l'initiative dans la lutte pour les droits des femmes.
« Il ne s'agit pas seulement d'actions individuelles, mais de nos gouvernements »
Il y a un couplet que j’adore, « Un violeur sur ton chemin ». Il dit : « L’État oppressif est un macho violeur. » Selon moi, cette phrase est très importante parce qu'elle met en évidence le fait que c’est le système qui fonctionne mal. Il ne s'agit pas seulement d'actions individuelles. Il s'agit surtout de la façon dont nos gouvernements sont construits et conçus. Cette violence n’existerait pas s'il n'y avait pas une telle impunité, s'il n'était pas socialement acceptable que nous soyons disciplinées.
Il y a des systèmes liés à l’éducation, au gouvernement, aux forces policières qui nous blessent au lieu de nous protéger, qui sont liés aux juges sexistes qui ne nous croient pas lorsque nous dénonçons des actes de violence... Toutes ces choses font que les gouvernements eux-mêmes sont responsables de cette violence.
Si l’on croit qu'un homme nous a agressées parce qu’il était quelqu’un de mauvais, on en fait un problème individuel, et on ne réussit pas à comprendre que la responsabilité des gouvernements est beaucoup plus importante que de punir chaque individu. Parce que derrière chaque agresseur, il y en a un autre, et un autre, et un autre... C'est une succession infinie d’agresseurs, qui ne s'arrêteront pas tant qu’on n’aura pas changé le système dans notre culture et notre éducation, dans la façon dont nos gouvernements ont été formés, et surtout dans la façon dont le pouvoir est distribué.
« Une école de pensée féministe unique en Amérique latine »
Il y a quelque chose de spécial en Amérique latine, qui en a fait le berceau des féminismes avant-gardistes. Nous venons de pays où il y a beaucoup de violences, beaucoup d'inégalités et un passé colonial qui a laissé de profondes cicatrices. L'inégalité et la violence en sont la preuve. Malgré ces choses terribles, je pense que ces inégalités ont donné naissance à une école de pensée féministe unique en Amérique latine, qui a commencé à refléter la violence et qui cherche des solutions face à celle-ci.
En Amérique latine, cela fait dix ans que nous débattons sur la signification du mot féminicide. Ça signifie quoi d'être tuée parce que l'on est une femme ? Bien sûr, comme ce sont des pays considérés comme dangereux, les hommes sont davantage tués que les femmes. Mais ils sont tués dans des circonstances différentes. Ils sont tués dans la rue, ou lorsqu'ils rejoignent des gangs ou des réseaux de trafic de drogue. Mais nous, les femmes, nous sommes tuées quand nous sommes à la maison, par nos partenaires, nos parents, nos frères, nos proches... Et il y a d'autres types de féminicides commis pour faire passer un message à la société, parfois perpétrés par ces gangs criminels.
« Il est essentiel de comprendre la signification du mot féminicide »
En Colombie, il y a des attaques à l'acide, par exemple. On dénombre plus de 3.000 femmes, à qui on a jeté de l'acide au visage. C'est une forme de violence contre notre corps qui vise à nous contrôler et à nous discipliner, à nous dire comment nous comporter. Et c'est en lien avec notre rébellion, avec les manifestations que nous, les femmes, organisons depuis 10 ans.
Je pense qu'il est essentiel de comprendre la signification du mot féminicide, parce qu'il est différent de l'homicide. Ce n'est pas la même chose d'être tué parce que vous vous livrez à des activités à haut risque ou parce vous êtes dans la rue et que quelqu'un essaie de vous voler quelque chose. Il est très difficile et cruel que ce qui vous expose à une mort violente soit votre relation amoureuse, par exemple.
Si nous avions autant de pouvoir que les hommes, ce serait plus facile de résister au harcèlement et à la violence. Quand un homme qui a autant de pouvoir que toi te harcèle, tu lui dis : « Va-t'en, gros nul. » Mais le problème, c'est qu'il y a de nombreuses fois où on ne peut pas lui dire de s'en aller. Parce qu'on sait qu'il y aura une punition, qu'elle soit émotionnelle, physique, liée au travail, sociale... Chaque fois que nous n'arrivons pas fixer ces limites, cela montre le déséquilibre des pouvoirs dans nos gouvernements, notre culture, nos sociétés. Et c'est contre ça que nous devons nous battre.