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Thomas Snégaroff raconte l'histoire de Rodney King

"Un jeune Noir tabassé par la police. Une vidéo qui montre la scène et qui choque l'opinion publique, et des émeutes raciales dans les villes américaines. On est en 1991…"
Publié le
02
/
06
/
2020

L’histoire de Rodney King racontée par Thomas Snégaroff


Ce jeune Noir américain avait été passé à tabac par des policiers blancs en 1991. La scène, filmée, avait déclenché des émeutes aux États-Unis.


Un jeune Noir tabassé par la police. Une vidéo qui montre la scène et qui choque l’opinion publique, et des émeutes raciales dans les villes américaines. Voici l’histoire de Rodney King, racontée par l’historien Thomas Snégaroff.


Rodney King roule trop vite et refuse de s’arrêter


En mars 1991, Rodney King, un jeune Noir de 25 ans, se fait arrêter par la police sur la route de Los Angeles parce qu’il roule trop vite. Il sort d’un an de prison pour un cambriolage, il a eu des problèmes de délinquance, des problèmes d’alcool et de drogues. Ce jour-là, il refuse de s’arrêter.


La police va l’arrêter, lui part. La chasse va durer plusieurs minutes. Quand il est arrêté, après avoir roulé à très vive allure, il est avec deux amis dans sa voiture. Eux sortent, mais lui refuse de descendre. Un hélicoptère filme la scène. Deux voitures de police sont là et il y a, à ce moment-là, une altercation entre Rodney King qui refuse de sortir et les policiers qui le forcent à sortir.


Il encaisse des dizaines de coups de matraque


Des coups sont échangés, et Rodney King est littéralement tabassé : des coups de matraque, des dizaines de coups de matraque. Rodney King tombe au sol. Il est à demi-conscient – ou à demi-inconscient – et les policiers le tirent sur le ventre pour l’amener un peu plus loin, comme un animal blessé, avant que l’ambulance ne vienne le chercher.


L’ambulance l’emmène à l’hôpital. C’est là, peut-être étonnamment pour vous, qu’il est emprisonné, en tout cas maintenu sous le contrôle de la police pendant plusieurs jours. Parce qu’on considère que c’est lui qui a commis un outrage aux agents.


Un plombier filme la scène avec une caméra


S’il n’y a pas encore de téléphones portables – on est en 1991 – il y a déjà des caméras. Et à côté de l’événement que je viens de vous raconter, il y a un plombier qui adore la vidéo, qui s’appelle George Holliday. Il sort sa petite caméra et filme 9 minutes de ce qu’il s’est passé. Il est choqué. Le lendemain, il veut emmener sa bande à la police.


Il se rend dans un commissariat de Los Angeles, mais on lui dit qu’on n’est pas intéressé. Il est tellement choqué qu’il décide de porter la vidéo à une chaîne de télé locale. La télé diffuse les images, et c’est un choc absolu dans tout le pays. Il faudra plus d’un an pour que le procès puisse se tenir, en avril 1992.


Dans un premier temps, les policiers sont blanchis


Lors du procès, on va montrer les images filmées ce soir-là. Tout le monde pense que, clairement, les policiers vont être condamnés. Sauf qu’ils sont blanchis. Aucun des quatre policiers poursuivis en justice n’est condamné à quoique ce soit. Ils ressortent libres.


Ce qui est intéressant, c’est que lors de ce procès, les policiers vont mettre en avant la corpulence de Rodney King. Sa taille – il fait 1m91 – son caractère dangereux parce qu’il est puissant, parce qu’il est fort. C’est un préjugé racial qu’on rencontre dans quasiment tous les cas de figure.


Des émeutes ont lieu dans les quartiers noirs de Los Angeles


À chaque fois que des policiers sont pris dans des histoires de violences policières à l’égard des Noirs, et des hommes noirs en particulier, ils mettent en avant ce facteur : « Il était immense, il était fort, j’ai eu peur de lui et par conséquent, j’ai tiré, je l’ai étranglé, par conséquent, par conséquent, par conséquent… »


Le verdict du procès va créer un choc tel qu’immédiatement, des émeutes vont commencer à avoir lieu dans les quartiers noirs de Los Angeles. Ces émeutes sont d’une très, très grande violence : des feux partout dans la ville. Les commerces asiatiques, notamment, coréens, vont être pris pour cible. À l’époque, on se demandait pourquoi. L’explication, c’est qu’un autre événement a eu lieu peu de temps après l’histoire de Rodney King, en mars 1991.


Un drame qui fait écho au meurtre de Latasha Harlins


Une jeune adolescente noire, Latasha Harlins, a été tuée dans un magasin coréen par un femme, la patronne coréenne. La jeune fille avait dans sa poche un litre de jus d’oranges, la patronne a cru qu’elle lui volait son jus d’oranges, il y a eu une altercation entre les deux femmes et l’adolescente est sortie du magasin, la patronne lui a tiré dans le dos.


Ce qu’on a su après, c’est que la jeune fille avait dans la main 2 dollars et qu’elle comptait payer son jus d’oranges. Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est que là aussi, la justice a été largement injuste, en tout cas très laxiste. C’est cet événement-là qui explique aussi pourquoi les magasins coréens ont été pris pour cibles.


Deux policiers sont finalement condamnés à 30 mois de prison


Rodney King bénéficie, un an plus tard, en 1993, d’un procès fédéral. Deux policiers seront condamnés à 30 mois de prison. La justice sera rendue. Quant à Rodney King, il va toucher près de 4 millions de dollars. Mais sa vie a été bouleversée. Il va sombrer dans la drogue, dans de petites formes de délinquance et mourra assez jeune, avant 50 ans. On le retrouvera noyé dans sa piscine, certainement après avoir pris des drogues.


Cette histoire va profondément changer la manière dont la police de Los Angeles travaille. On va, par exemple, équiper les policiers de caméras quasi-systématiquement sur leur uniforme. Et la police va être plus mixée : on avait 60 % de Blancs en 1992, on a aujourd’hui 30 % de Blancs, beaucoup de Latinos, des Africains-Américains.


Cette police est aujourd’hui plus appréciée par la population, bien plus qu’il y a quelques années. Les caméras vont d’ailleurs se multiplier dans beaucoup de polices. Mais on l’a vu dans le cas de George Floyd, même quand les policiers sont filmés, ils commettent parfois l’irréparable.