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En Syrie, un nouveau risque de chaos
L’impact de l’invasion turque en Syrie
Depuis octobre 2019 en Syrie, la Turquie envahit des territoires contrôlés jusque-là par les Kurdes. Notre reporter Charles Villa est allé sur place.
Dans une précédente vidéo, Brut avait pénétré dans l’une des prisons kurdes en Syrie où sont emprisonnés les djihadistes de l’État islamique. Si, aujourd’hui, ces prisons sont des bombes à retardement, c’est notamment à cause de l’invasion turque en octobre 2019. La Turquie a en effet envahi des territoires jusque-là contrôlés par les Kurdes.
« Les forces kurdes avaient prévenu que l’invasion turque pourrait causer le retour de l’EI »
« Les forces kurdes avaient prévenu dès le début de l’opération que l’invasion turque pourrait se traduire par la résurgence de l’État islamique, analyse Allan Kaval, journaliste au Monde. La Turquie ne peut plus concentrer ses efforts dans la lutte contre les cellules dormantes de l’organisation terroriste, et elle ne peut plus assurer, de la même manière, la sécurité des prisons et des camps où sont détenus des milliers de djihadistes de l’État islamique. »
Le chef de la prison où s’est rendu notre reporter confirme cette observation. « En fait, l’offensive turque a posé plein de problèmes. On a dû envoyer beaucoup de nos gardiens sur la ligne de front. La sécurité du front est plus importante que celle de la prison. »
Des centaines de milliers de personnes ont fui leur ville
Autre conséquence de l’invasion turque : des centaines de milliers de personnes ont dû fuir leur ville ou leur village sous la pression de l’armée turque et de ses alliés, les milices syriennes. Dans le nord-est de la Syrie - plus précisément dans le gouvernorat d’Hassaké - se situe le camp de déplacés de Washo Kani. On y trouve, principalement, entassés les uns sur les autres, des Kurdes et des Arabes qui ont fui les zones de combat.
« La plupart des déplacés sont des enfants et des femmes. Il y a plus de 4.400 personnes. Parmi eux, on compte environ 2.000 femmes et entre 1.150 et 1.200 enfants », détaille Salwa Salih, la responsable du camp. Ces personnes sont nourries avec des boîtes de conserve pour ne pas qu’ils allument de feu. Ils ne mangent que des haricots, de la viande ou des chips. « Nous avons fui la guerre et les bombardements. Nous avons tout laissé derrière nous. Mon épouse et moi, nous avons sept enfants. Ici, nous sommes en sécurité. C'est le plus important », témoigne un homme vivant dans le camp.
« Les forces kurdes souhaitaient que les Américains se maintiennent sur place »
Pour bien comprendre la situation de ces déplacés, il faut remonter quelques années en arrière. « À partir de 2014, c’est une alliance entre les forces kurdes syriennes et la coalition internationale contre l’État islamique, emmenée par les États-Unis, qui a permis de chasser les djihadistes du nord-est de la Syrie et de reprendre leur capitale, Raqqa. Après la défaite finale de l’État islamique, les forces kurdes attendaient de leurs alliés occidentaux, notamment américains, qu’ils se maintiennent sur place et les protègent contre leurs nombreux rivaux et ennemis régionaux, notamment la Turquie », explique Allan Kaval.
Seulement, après la chute de Daech, le Président Donald Trump a affirmé à plusieurs reprises qu’il souhaitait le retrait des troupes américaines en Syrie. Début octobre 2019, juste avant le début de l’invasion turque, il a réitéré cette déclaration. « C’est après un coup de téléphone entre Erdogan et Trump que l’assurance a été donnée au Président turque que les forces américaines allaient quitter deux postes de la frontière syro-turc, ce qui permettrait aux forces turques et à leurs alliés d’entrer sur le territoire », précise Allan Kaval.
« L’objectif est de détruire le mouvement kurde »
Le Président Erdogan considère les forces kurdes en Syrie comme des terroristes à cause de leurs liens avec le PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan. Cette organisation politique et militaire est considérée comme terroriste par la communauté internationale, car elle a déjà revendiqué des attentats en Turquie. « La montée en puissance du mouvement kurde en Syrie, à la frontière de la Turquie, a beaucoup inquiété Ankara. Dès lors, elle a fondé toute sa politique syrienne sur l’objectif d’affaiblir, voire de détruire le mouvement kurde en Syrie », ajoute Allan Kaval.
Erdogan justifie cette opération militaire par la création d’une zone tampon de 5 km à la frontière turco syrienne. L’objectif est double : chasser les forces kurdes syriennes et installer des centaines de milliers de réfugiés syriens actuellement en Turquie.
Le sentiment d’avoir été abandonnés par la coalition
Une des choses qu’on entend le plus dans le camp, c’est le mot « trahison ». Les Kurdes ont vraiment le sentiment d’avoir été abandonnés par la coalition, d’avoir été jetés en pâture à l’armée turque et à ses milices, qui ont massacré et tué beaucoup de gens. De nombreuses vidéos ont d’ailleurs circulé sur les réseaux sociaux.
« Sur le terrain, ce n’était pas uniquement des militaires turques qui étaient engagés, mais aussi des miliciens syriens issus de groupes armés islamistes qui ont combattu le régime de Bachar el-Assad depuis le début de la guerre civile syrienne. Ces miliciens ont la réputation d’avoir commis de nombreuses exactions : des exécutions sommaires, des enlèvements, des tortures… Ce sont ces miliciens qui ont pris le contrôle, petit à petit, des villages, chassant les populations locales, notamment les populations kurdes », détaille Allan Kaval.
« Ils tuent tous les enfants »
Dans le camp, Brut a rencontré Amira et sa famille, victimes de cette offensive militaire. Amira a cinq enfants, dont le dernier a seulement deux semaines. « Ils tuent tous les enfants. Ils n’ont pas de pitié pour les enfants et les personnes âgées. Ils n’ont de pitié pour personne. On a vraiment peur, on ne retournera pas là-bas. Tant qu’ils y seront, on ne rentrera pas. On restera ici. »
Tous les déplacés ont subi ces exactions. Ce sont en partie ces traumatismes qui expliquent le sentiment d’abandon qu’ont les Kurdes aujourd’hui. Selon Allan Kaval, « les forces kurdes syriennes et leurs alliés ont perdu plus de 10.000 hommes et femmes dans les combats contre l’État islamique. Le retrait des forces américaines de la frontière syro-turque en octobre 2019 a donc été considéré par les Kurdes, qui estiment avoir mené la guerre contre l’État islamique pour le compte de la coalition internationale, comme une trahison ».