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La vie après la colline du crack

Notre documentaire sur la colline du crack a suscité de nombreuses réactions. Notre journaliste Camille y avait rencontré Laurie, une jeune toxicomane. Depuis, beaucoup de choses ont changé dans sa vie. Réalisé par Camille Courcy.
Publié le
21
/
11
/
2022

Laurie, rescapée de la colline du crack


Vous avez été nombreux à réagir à notre documentaire sur la colline du crack, dans lequel on voyait Laurie, jeune femme de 19 ans, enceinte et accro. Brut l’a retrouvée.


« Je fume du crack depuis que j'ai 15 ans. Je fume des joints, je bois de l'alcool, je prends du Valium... Je fais n'importe quoi. Je vole, je fais la manche, je me prostitue au rond-point d'Aubervilliers tous les soirs. » À l’époque de la colline du crack, Laurie ne mâchait pas se mots. Elle allait très mal, et elle en parlait sans tabou.


Vous avez été nombreux à réagir à notre documentaire sur la colline du crack, ce lieu au nord de Paris où dealers et consommateurs se donnent rendez-vous depuis une dizaine d'années. Aujourd'hui, la colline et le camps ont été complètement évacués. Pour Brut, notre reporter Camille avait rencontré Laurie, une jeune Belge de 19 ans, enceinte, qui avait commencé le crack très jeune. Elle l’a depuis retrouvée. Laurie va mieux, et elle vit chez sa mère.


« Je me suis vue comme une clocharde »


« La vidéo m'a permis de voir que j'étais arrivée à un point où je ne pouvais presque plus faire marche arrière », confie Laurie. La jeune femme attend un bébé, et elle est bien décidé à ne plus retourner à Paris. « Je me suis vue comme ça, comme une clocharde, et ça m'a fait bizarre. J'ai vu tous les commentaires des gens… » Laurence, la mère de Laurie, a elle aussi été touchée en plein coeur par le reportage de Brut : « Ça m'a vraiment émue. Je ne pensais pas qu'elle reviendrait à la maison et qu'elle serait calme comme ça, que je pourrais avoir un dialogue de femme à femme. »


Aujourd’hui, Laurie réalise à quel point elle était dépendante de la drogue. « Le crack, c'est bon. À la première taffe, c'est super bon. C'est le meilleur truc dans ta vie. Et puis après, tu te dis : « Mais putain, mais j'ai fait de la merde ! Mais c'est trop tard, tu es déjà dedans. Il te faut quelques années pour te remettre mentalement de ça. » Elle réalise également à quel point sa mère s’inquiétait. « Toute la nuit je regardais mon plafond et je me disais : "Qu’est-ce qu'elle fait ? Où elle est ? Est-ce qu'elle n'a pas froid ? Est-ce qu'elle a un toit pour dormir ?" » se souvient Laurence. La mère de Laurie avoue même avoir parfois pensé au pire : la mort ou la séquestration.


Violée par son père


Mais Laurence comprend qu’avec l’histoire de sa fille et ses blessures, il était difficile pour elle de mener une vie stable. Car Laurie a été violée par son père pendant des années, et la plainte a été classée sans suite. « Vers trois ans et demi, elle allait le mercredi après-midi et un week-end sur deux chez son papa. Quand elle rentrait, elle se réfugiait sous la table et elle ne voulait pas nous parler. En ayant très peur d'aller à la douche, parce que son papa lui avait fait mal au sexe. C'est ce qu'elle me disait avec ses mots d'enfant. Ça s'est reproduit, donc j'ai été déposer plainte. Mais ils ne croyaient pas trop au comportement incestueux du papa », se souvient Laurence.


Elle l’affirme : Laurie ressent depuis un fort sentiment d’injustice et une rage qui a grandi de jour en jour. Après le père de Laurie, Laurence s'est mise en couple avec un autre homme. Elle a eu un nouvel enfant, et a décidé de placer sa fille en internat. « On voulait qu’elle soit hors contexte de la maison et loin de son papa », argumente Laurence. Mais le placement n’a pas du tout été bénéfique pour Laurie, regrette sa mère. « Après l'internat, ça a chuté vers les centres psychiatriques. Parce que, comme elle ne s'adaptait pas aux autres enfants en internat, ils ont dit qu'elle avait un problème psychiatrique. » C’est pendant cette période que Laurie découvre le crack.


Elle se prostitue pour payer son crack


Laurie se rend pour la première fois à la colline du crack à 15 ans. Pour se payer sa drogue, elle se prostitue. Elle consigne parfois ses rendez-vous avec ses clients dans un carnet. « Je me rends à la pompe. Je vois mon client et il me lance : "10 euros une pipe, ça marche ?" "Non, 20 euros tout compris, OK ?" "OK." Je monte dans sa Porsche. Il met la radio. Cet homme doit avoir à peu près, 30, 35 ans. Cheveux grisonnants, balafré, ce mec me fait peur. C'est mon client, je le connais, il est réglo. Ici, les meufs en manque de crack demandent 5 euros. Moi, toujours minimum 20 euros. Personne en vue, je me déshabille, il met sa capote. "Eh, tu aimes quoi, niveau sexe ?" La question était gênante. Je lui ai répondu vaguement : "Oh, un peu de tout. Je fais tout, moi. Dès que la capote est pleine, ça fait 20 euros." »


À l’époque, Laurence ne sait pas que sa fille prend du crack. Dans tous les cas, elle affirme qu’elle n’aurait rien pu faire : « Un enfant, plus on va lui interdire et plus il aura envie d'aller contre l'avis de ses parents. » Aujourd’hui encore, elle n’est pas totalement rassurée quant à la santé et à la sécurité de sa fille. « Je sais qu'elle est encore en contact avec des gens de Paris... Elle est retournée plusieurs fois à Paris parce que, justement, elle n'avait pas coupé les contacts avec des gens qu'elle côtoyait là-bas », déplore Laurence.


Laurie, de son côté, affirme qu’elle ne fume plus, et qu’elle n’en ressent même plus l’envie. « Ça va, je gère. Franchement, j'ai plus envie de fumer. En fait, quand dans ta tête t'as plus envie de fumer de crack, eh ben, le crack, il s'enlève tout seul de ta tête », assure la jeune fille. Regrette-t-elle son expérience sur la colline ? Pas totalement. « Si jamais j'avais pas vécu tout ce que j'ai vécu, je crois que j'aurais pas pris conscience que je suis bien à la maison. »