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Le pain : une histoire politique et sociale
“Le manque de pain, c'est souvent ‘le’ déclencheur qui va pousser les populations à descendre dans la rue pour aller demander aux dirigeants de remplir leur part du contrat” explique Coline Arnaud, autrice de "Pain et Liberté. Elle ajoute : “Le pain, c'est ce qu'on pourrait appeler le minimum vital pour garantir la dignité de chaque citoyen. A partir du moment où ce contrat n'est plus rempli par les dirigeants, eh bien c'est vraiment le levier qui, dans la plupart des cas, va déterminer un soulèvement populaire et parfois même le renversement de certains régimes. Et ça, c'est un motif récurrent dans l'histoire du pain à travers le temps : des révoltes paysannes du Moyen Age, la Révolution française, les révolutions de 1830, de 1848, les printemps arabes…”
A Strasbourg, ils font du pain avec de la bière
“Le pain est un élément essentiel de la façon dont on se pense en tant que société organisée”
C’est notamment le cas durant la Révolution française, avec l’épisode du 5 octobre, qui est “un épisode éminemment féminin”, “et ils sont rares” souligne l’autrice, durant lequel “les femmes de la Halle, ce qu'on appelle les poissardes, vont descendre dans la rue, constituer un cortège et partir de Paris pour aller chercher le roi à Versailles pour lui réclamer du pain”. Selon Coline Arnaud, cet élément est “vraiment à l'origine de la façon dont les sociétés se pensent et se structurent. Un manque de pain, c'est le renversement de certains régimes, une abondance de ce dernier, c'est l'indication d'une société qui va bien, avec un régime politique stable. Des révoltes qui réclament du pain, c'est le signe d'une société qui, probablement, ne fonctionne pas ou qui a besoin de réinterroger ses valeurs et de repenser son fonctionnement. Donc on se rend compte à travers le temps qu’il est vraiment un élément essentiel, non pas simplement de notre alimentation et de nos subsistances, mais bien effectivement de la façon dont on se pense en tant que société organisée”.
Ce boulanger utilise le soleil pour cuire son pain
Au Moyen-Âge, cet élément est “un marqueur social extrêmement important. C’est-à-dire qu’en fonction de la couleur de la miche que vous mangez, on est capable de vous dire à quelle classe sociale vous appartenez. (Si elle est plutôt blanche), c’est-à-dire un pain de froment avec une fine fleur de farine qui a été blutée, qui a été travaillée extrêmement longtemps, eh bien on peut dire que vous appartenez à l'élite, puisque c'est un pain qui coûte plus cher, puisque le blutage est plus important, et donc la farine en elle-même coûte plus cher. Au contraire, si vous mangez du pain de son ou de froment, vous avez généralement un estomac beaucoup plus vulgaire, on va dire, et donc vous mangez beaucoup plus roborative, avec cet élément qui va vous tenir au corps et donc qui est destiné à une population beaucoup moins aisée”.
Il est le seul boulanger sur son île
“Aujourd’hui c’est complètement l’inverse” indique Coline Arnaud. “On assiste à une inversion des valeurs du pain. Au 20e siècle, l'industrie agroalimentaire a récupéré ce marché, s'est mis à produire un pain très blanc, et donc, par conséquent, ce dernier est devenu accessible à tous puisqu'il a été produit à très grande échelle et donc à très faible coût. Et donc, effectivement, à nouveau, en termes de distinction sociale, les classes aisées se sont réapproprié l’élément délaissé par les classes les plus populaires, qui, elles, se sont approprié le pain des classes aisées. Donc par conséquent, aujourd'hui, le pain nordique par exemple, avec des farines anciennes ou des farines de seigle va être effectivement plus cher et donc plus prisé par les classes les plus aisées. Alors que la baguette blanche est devenue le pain des classes populaires”.