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Mexique : entretien avec un tueur à gages

Inégalités, cartels qui font régner la terreur... En 2019, environ 35 000 personnes ont été assassinées au Mexique. Pour Brut, Charles Villa a rencontré un "Sicario" qui aurait tué plusieurs dizaines de personnes. Entretien avec un tueur à gages.
Publié le
04
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04
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2020

Brut a rencontré un tueur à gages mexicain


El chacal a tué plus de 20 personnes pour de l'argent, et il n’a aucun regret. Il explique pourquoi.


35.000 en 2019, soit presque 100 par jour : c'est le nombre de meurtres au Mexique. C'est plus que dans certaines zones de guerre. Ces meurtres sont largement perpétrés par des tueurs à gages engagés par des narcotrafiquants. Brut a pu interviewer l'un d'eux, qu'on surnomme « El chacal ». Cet homme aurait tué plusieurs dizaines de personnes. Le tueur a donné rendez-vous à notre reporter Charles Villa au cœur de Mexico, dans le quartier de Tepito, l’un des plus dangereux de la ville.


Chapitre I – Naissance d’un tueur


Comment êtes-vous devenu tueur à gages ?


J’ai intégré l’armée quand j’avais 15 ans. Je faisais partie du deuxième bataillon de l’infanterie du Corps de la garde présidentielle. Comme dans toute formation militaire, j’ai suivi des cours élémentaires qui m’ont permis d’apprendre le port d’armes balistiques, l’autodéfense, les premiers soins, et tout ce que cela exige. J’ai ensuite quitté l’armée et je suis resté sans emploi pendant un certain temps, j’errais ici et là...


Je n’avais pas de métier, je n’avais rien, je volais. Après, j’ai commencé à tuer les gens parce qu’ils résistent lors de l’agression. Je tuais des gens simplement pour les voler, rien de plus. Jusqu’à ce qu’une personne me propose une opportunité. Cette personne m’a proposé de l’argent pour tuer des gens, j’ai trouvé cela plus simple d’aller juste tuer les gens que de les voler. C’est plus facile comme ça. C’est pour ça que j’ai commencé à faire ce genre de missions.


Est-ce que vous pouvez expliquer ce qu’est un sicario ?


Ceux qu’on appelle « tueurs à gages », ce sont ceux qui tuent des gens pour de l’argent. Souvent, on ne connaît pas les personnes qui nous engagent. On ne demande pas pourquoi on doit tuer cette personne. En réalité, ça ne m’intéresse pas de savoir pourquoi on veut tuer une personne, si elle a volé ou si elle a fait du mal. J’arrive, on me donne le nom de la personne et des endroits qu’elle fréquente, plus ou moins. On me verse une première partie de l’argent et je fais le boulot.


Chapitre II – Les armes du crimes


J’ai amené un 9 mm, un Smith & Wesson avec son chargeur plein. C’est mon arme. Elle n’est pas neuve, elle a servi plusieurs fois, mais elle brille comme si elle était neuve.


Est-ce que c’est l’arme que vous utilisez pour tuer ?


Non, c’est celle de la maison. Pour les missions, j’utilise des armes différentes, parce qu’en fonction de la mission, on se débarrasse de l’arme.


Comment ça marche quand on vous demande de tuer une personne ? Est-ce que vous essayez de récupérer des informations sur les personnes que vous allez assassiner, ou vous obéissez aux ordre aveuglément ?


La personne qui m’engage me donne une feuille avec la photo de la cible, son adresse personnelle, son adresse professionnelle, ses itinéraires… Parfois, on te dit très bien d’aller la tuer à son bureau ou de l’attendre chez elle, ou pendant la soirée. Elle dîne, et c’est là qu’on la tue. C’est selon les désirs du commanditaire : je lui tire une balle dans la tête ou autre chose.


Est-ce que vous utilisez toujours un pistolet ?


C’est presque toujours un pistolet, ou un couteau.


Donc vous avez déjà tué quelqu’un avec un couteau ?


Oui, plein de fois.


Comment on fait pour tuer avec un couteau ?


En visant la jugulaire, ou l’aorte.


C’est difficile pour vous de tuer des gens ?


C’est difficile les premières fois. On a le trac. Mais après, c’est comme pour tout, tu t’habitues.


Vous savez combien de personnes vous avez tuées ?


Je ne saurais pas te dire. Au début, je les comptais. Et puis j’ai arrêté de le faire, car j’en faisais des cauchemars.


Vous vous rappelez à partir de combien vous avez arrêté de compter ?


Environ 20, ou 21.


**Qu’est-ce que vous pensez des séries sur les narcotrafiquants ?


***Je ne sais pas. Pour moi, c’est une école pour ceux qui débutent, pour exécuter leurs missions. Il y a beaucoup de programmes qui s’inspirent de la vie réelle, mais ils ne reflètent jamais toute sa cruauté.


**Combien de personnes tuez-vous par an, approximativement ?


En moyenne une ou deux par an.


**Combien de personnes vous avez tuées en 2019 ?


Deux, pas plus.


Vous avez tué quelqu’un en 2020 ?


Non, pas cette année. Ça commence à me manquer.


Chapitre III – Le prix d’une vie


C’est quoi, le prix d’une vie humaine ?


Le paiement le plus bas que j’ai reçu, c’est 4.000 euros. La personne qui exécute le contrat avec le client a la possibilité de savoir combien elle va encaisser. On peut encaisser de 8.000 à 10.000 euros, mais pas moins de 4.000. Parce qu’il y a la commission de l’intermédiaire et ce qui doit me revenir.


Avez-vous déjà refusé un contrat ?


Oui.


Pour quelle raison ?


C’était un journaliste. Parce que ceux qui tuent les journalistes se font toujours prendre. Les civils, ça arrive souvent qu’ils marchent dans les rues et qu’on les tue. Si leurs proches veulent enquêter, ils ne peuvent rien faire. Mais quand il s’agit d’un journaliste, on retrouve toujours le tueur.


Mais à Mexico, beaucoup de journalistes se font tuer…


C’est vrai qu’ils paient beaucoup pour un journaliste : de 300.000 à 500.000 pesos.


Si, par exemple, quelqu’un vous demandait de me tuer pour ce prix-là, est-ce que vous le feriez ?


Non, parce qu’ils vont me retrouver de toute façon. J’ai pour principe de ne pas le faire parce qu’ils vont me retrouver et m’attraper. Donc je refuse.


Est-ce que vous avez déjà tué une femme ou un enfant ?


Non, de vrais hommes et des adultes.


Pourquoi ?


Non, les enfants, non. Ça m’est égal de tuer quelqu’un, mais je n’ai jamais tué une femme. J’en ai eu une en ligne de mire, mais je ne lui ai pas tiré dessus, je n’ai jamais tué de femme.


Chapitre IV – Le tueur et sa conscience


Comment arrivez- vous à vivre en sachant que vous avez tué autant de personnes ?


Je peux dire que je suis serein, parce que à l’armée, quand j’étais plus jeune, on m’a appris à obéir aux ordres. Donc je prends ça comme un ordre. Ce n’est pas moi qui ai décidé de tuer, mais la personne qui a commandité l’assassinat. J’ai l’esprit tranquille, parce que je n’ai pas pris la décision.


Vous vous habituez à la mort ?


Oui, comme pour tout. Comme tout ce qui est mal, non ? Ce n’est pas normal de devoir tuer des gens dans la rue, pour de l’argent. Mais souvent, on n’a pas d’autre choix. C’est quelque chose qui se fait petit à petit, parce qu’en vérité, je n’ai pas choisi cette voie. Les déceptions m’ont poussé à devenir la personne que je suis. Parfois, c’était le désespoir, le manque d’argent.


Est-ce que vous avez un autre métier et une famille ?


Je travaille dans une usine de meubles en tant que menuisier-machiniste. Et oui, j’ai une famille : j’ai une femme et un fils de 22 ans.


Est-ce que votre famille est au courant de ce que vous faites quand vous n’êtes pas au travail ?


Non, ils ne sont pas au courant. Personne de mon entourage le sait.


Est-ce que vous croyez en la vie après la mort ?


Oui, quelque chose comme ça. Je ne pense pas que tout s’arrête ici. Si tout s’arrête ou si on passe à une autre chose, je ne le sais pas... C'est plus ou moins l’idée.


Est-ce que vous pensez que vous irez dans une sorte de paradis ?


Ça se pourrait. Comme on dit, si nous sommes tous chrétiens, si Dieu nous pardonne tout et si je me repentis sincèrement avant de mourir, j’irai sûrement au paradis.


Vous n’avez aucun regret ?


Je n’ai aucun regret, ce qui est fait est fait.