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Mogadiscio, l'une des villes les plus dangereuses du monde
Les femmes de Mogadiscio, optimistes malgré l’horreur
Notre reporter Camille s’est rendue dans la capitale de la Somalie, minée par les attentats. Elle a pu s’entretenir avec quatre femmes, qui lui ont livré leur vision de l’avenir.
Mogadiscio, capitale de la Somalie, est l’une des villes les plus dangereuses au monde. Le pays est en guerre depuis presque 30 ans. Et tout a empiré en 2007, à l'arrivée des shebabs, un groupe radical affilié à Al-Qaïda. Ils seraient entre 5.000 et 9.000 terroristes à travers la Somalie. Leur but : instaurer la charia et faire tomber le gouvernement, déjà très faible et corrompu. Certains de ces combattants sont enrôlés dès l'âge de 8 ans et sont entraînés à tuer.
Pas une semaine sans un attentat revendiqué par les shebabs
Si, officiellement, les shebabs ne contrôlent plus Mogadiscio depuis 2011, officieusement, ils sont partout, mêlés à la population. Au cœur de cette ville en plein chaos, notre reporter a rencontré quatre Somaliennes, qui ont accepté de lui raconter leur quotidien, malgré les risques pour leur vie.
À Mogadiscio, il ne se passe pas une semaine sans un attentat revendiqué par les shebabs. L’un des plus sanglants a frappé la ville en décembre dernier. Il a tué plus de 70 personnes, dont un bus transportant une vingtaine d'étudiantes. Roukya Mustafa Had est infirmière en chef. Rien que dans son hôpital, on soigne plus de 2.000 blessés par balle ou victimes d'attentat tous les mois.
À l’hôpital, victimes et terroristes
« On est en situation d'urgence tous les jours. Quand tu vois un patient arriver, tu oublies tout le reste et tu te concentres sur l'état du patient. Ici peuvent se retrouver les pires ennemis dans des lits côte à côte », témoigne l’infirmière en chef. Après un attentat en effet, les personnels soignants doivent prendre en charge victimes et terroristes, sans distinction. Mais Roukya Mustafa Had tient bon : « Jamais je ne me décourage face à cette situation. Car je sais que c’est l'œuvre d'Allah. »
À Mogadiscio, les attentats sont devenus tellement fréquents que les habitants ne s’en étonnent plus. « Au début, quand on entendait une explosion ou un meurtre, on avait l'habitude d'appeler quelqu’un. Plus maintenant. Tu vas entendre une énorme explosion, et peut-être que la maison va trembler, mais tu t'en fiches, tu n'appelles personne. Tu continues ce que tu étais en train de faire », constate l’infirmière.
« Personne n'est vraiment effrayé, ce n'est pas comme les médias le montrent »
Plusieurs millions de Somaliens ont dû quitter le pays ces dernières années à cause de la situation sécuritaire. Aujourd'hui pourtant, une partie de cette diaspora revient en Somalie pour développer le pays. C'est le cas de Najma, 36 ans. Après 20 ans aux États-Unis, elle a décidé de revenir pour diriger une entreprise de bananes.
« Je suis allée au lycée et à l'université aux États-Unis. Je travaillais en tant qu'ingénieure en informatique. Je suis revenue en Somalie car je voulais changer de vie et voir ce que je pouvais faire. Tout le monde aux États-Unis est inquiet car je vis en Somalie. Mais quand je suis arrivée ici, j'ai vu comment les gens vivaient. Ils vivent leur vie librement, personne n'est vraiment effrayé. Ce n'est pas comme les médias le montrent », assure l’ancienne ingénieure.
« Tu es une femme, tu ne peux pas être dirigeante, tu ne peux pas te tenir près d'un homme »
Pour autant, la nouvelle carrière de cheffe d’entreprise de Najma est loin d’être facile. « Beaucoup de grosses entreprises basées en Somalie sont possédées par des hommes et gérées par des hommes. Mais une fois que tu as dépassé ça, une fois que les gens voient que tu es capable de faire ce genre de boulot, ils commencent à te respecter davantage, ils viennent davantage te demander des conseils », assure Najma.
Devant la caméra, elle se montre extrêmement positive. Toutefois, en privé, elle avoue préférer ne pas parler de politique pour ne pas être ciblée par des groupes radicaux comme les shebabs. « Ils ne disent pas qu'ils vont te tuer et tout ça. Mais ils te disent : "Tu es une femme, tu ne peux pas être dirigeante, tu ne peux pas te tenir près d'un homme." »
« La nouvelle génération a bénéficié de conseils qui lui permettront d'avoir une meilleure vision que celle de leurs aînés »
Hors de l’économie et de la politique, l'avenir des Somaliennes se joue aussi à l'école. La Somalie compte le taux de scolarisation le plus bas au monde, avec seulement un quart des petites filles scolarisées. Notre reporter a rencontré Halimo Houssein, une directrice d'école qui essaie de faire bouger les choses. Son établissement, qui enseigne de la primaire au secondaire, a été ouvert durant la guerre civile.
Cette école a été créée pour répondre à une forte demande de Somaliennes actives, souvent dans le secteur économique informel. Celles-ci voulaient un endroit où leurs enfants puissent étudier et où leur sécurité soit assurée. « Nous sommes fermement convaincus que les enfants qui quittent notre établissement auront une vision totalement différente des générations précédentes. Cette génération a bénéficié de conseils, d'éducation, d'expériences et de mises en garde qui lui permettront d'avoir une meilleure vision que celle de leurs aînés », assure la directrice.
« Les shebabs sont des terroristes, mais des Somaliens »
Son enthousiasme est partagé par Fauzia Yusuf Haji Adan, une des premières et rares Somaliennes à faire de la politique, bientôt candidate aux élections présidentielles. Pour elle, l'avenir de la Somalie se fera avec les hommes, et même avec les shebabs. « Il devrait y avoir une médiation entre les Somaliens, le gouvernement, la nation toute entière – en comprenant aussi les shebabs – peut-être les talibans, les Américains et le gouvernement afghan », analyse Fauzia Yusuf Haji Adan.
Sans l’ouverture d’un tel dialogue, aucune évolution n’est possible, selon elle. « Les shebabs sont des humains, comme nous. Ces gens sont des terroristes, mais des Somaliens. Alors on peut s'asseoir avec eux et leur demander ce qu'ils veulent. S'ils veulent un siège au gouvernement, ils peuvent l'avoir. N'importe qui de sensé l'accepterait, si c'est tout ce qu'ils veulent. S'ils veulent le pouvoir, laissons-les l'avoir et sauvons les gens et le futur de ce pays. »