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Ne plus porter de soutien-gorge, un geste loin d'être anodin
C’est quoi, le « no-bra » ?
Brut a rencontré la philosophe et autrice Camille Froidevaux-Metterie, qui a publié « Seins : En quête d’une libération ». Elle nous explique pourquoi certaines femmes décident de ne plus porter de soutien-gorge.
Ne plus porter de soutiens-gorges, c’est ce qu’on appelle le « no bra ». Pendant le confinement, 1 femme sur 5 entre 18 et 24 ans a arrêté de mettre un soutien-gorge, selon un sondage Ifop. « J’ai l’impression que c’était tellement l’anarchie autour, rien n’allait sur Terre. On est tous devenus un peu plus tolérants avec les autres et avec nous-mêmes. Quand tu mets ton soutien-gorge, t’as un peu ton uniforme social, ta protection. C’est un peu ton habit de scène pour sortir », constate la YouTubeuse Fannyfique.
« Pendant le confinement, les femmes ont pu enfin développer vis-à-vis de leur corps une attitude plus libre »
Pour l’autrice et philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie, ce geste participe d’une véritable dynamique de libération des diktats qui était entamée bien avant le confinement. « Quand une femme se prépare avant de sortir dans l’espace public, elle sait qu’elle sera regardée parce que c’est comme ça depuis l’aube des temps. Elle se prépare en adoptant un certain nombre de pratiques et de routines. Pendant le confinement, les femmes ont été débarrassées de ces regards et elles ont pu enfin développer, vis-à-vis de leur propre corps, une attitude plus libre », analyse la philosophe.
Selon Camille Froidevaux-Metterie, ce qu’une femme fait de son apparence est toujours lié aux injonctions qui pèsent sur elle. Et ces injonctions lui imposent une certaine forme de seins : la demi pomme. « Un sein suffisamment rond, suffisamment gros, suffisamment haut, qui correspond à un idéal qu’on retrouve depuis l’Antiquité. Il est imposé aux femmes par des soutiens gorges qui viennent façonner les seins pour que ceux qui ne souscrivent pas à l’idéal puissent devenir conformes. Se débarrasser du soutien-gorge, ça veut dire accepter ses seins tels qu’ils sont », développe-t-elle.
Les tétons rappellent la fonction sexuelle et la fonction maternelle
L’autrice souligne un paradoxe : celui du sein devant atteindre une certaine taille tout en restant peu visible. « Il ne faut pas qu’on voie les tétons. Le soutien-gorge joue, de ce point de vue, un rôle très important, puisque les soutiens-soutiens-gorges rembourrés, à coques et autres coussinets sont là précisément pour que les seins deviennent le plus visibles possibles, pour qu’ils soient présentés aux regards, voire aux mains. Mais ils sont aussi là pour dissimuler les tétons. »
Et pourquoi doit-on dissimuler ces tétons ? Parce qu’ils rappellent à eux seuls les deux fonctions possibles des seins : la fonction sexuelle et la fonction maternelle. « Des fonctions difficilement compatibles et dont le sens commun a édicté qu’elles ne pouvaient pas être publiques », résume Camille Froidevaux-Metterie.
« Les seins sont rendus de façon volontaire à nouveau visibles et mouvants »
En ce sens, ne pas porter de soutien-gorge dans l’espace public est donc un réel engagement. « Les seins redeviennent ce qu’ils sont : de la chaire mouvante, de la chair vivante que l’on va voir sous le tissu. On va voir les tétons se dessiner. » Une visibilisation parfois difficile à assumer pour les femmes, qui peuvent se sentir observées. « Il faut anticiper un regard peut-être encore plus appuyant et insistant parce que les seins sont rendus de façon volontaire à nouveau visibles et mouvants », note la philosophe.
Cette pression qui pèse sur leur poitrine, les femmes la ressentent dès l’adolescence et l’apparition des seins. Une transition parfois difficile. « Les filles se retrouvent assez brutalement projetées dans leur corps sexué. En quelques mois, leur corps d’enfant devient un corps de jeune fille. Il devient donc sexué, mais dans le même moment, il se sexualise. C’est-à-dire que les seins, parce qu’ils sont visibles, envoient le signal à l’extérieur que ces corps sont désormais sexuels », observe Camille Froidevaux-Metterie. Du statut d’enfant, certaines passent à celui d’objet sexuel. Une situation pour laquelle elles ne sont pas prêtes à l’âge du fait de leur jeune âge.
Les bralettes, une première étape vers la libération ?
Camille Froidevaux-Metterie a publié l’enquête Seins : En quête d'une libération. Elle a pu interroger 40 femmes sur le rapport qu’elles entretiennent avec leurs seins. « Il y a des femmes qui portent des soutiens-gorges parce qu’elles en ont besoin. Il y a des femmes pour qui le soutien-gorge joue un rôle dans leur vie amoureuse et sexuelle, qui aiment acheter de la jolie lingerie. Il y en a d’autres qui aiment avoir la possibilité d’en porter ou de ne pas en porter », a-t-elle remarqué.
Récemment, la philosophe a remarqué la mode des bralettes, des soutiens-gorges sans armature, sans coussinets, très légers et très souples. Selon elle, c’est le signal « qu’il y a désormais une diversification des propositions. On va peut-être pouvoir se débarrasser des coques uniformes qui enserrent nos seins dans des carcans de tissu. » Le début d’une libération à grande échelle ?
Maud Le Rest