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“La peur nous rassure”
“Nous avions jadis des grands récits, qui nous permettaient de ne pas être angoissés par la mort, les catastrophes, le monde très compliqué dans lequel nous vivons. Ces grands récits, c'étaient les religions, les idéologies, etc. Ils sont aujourd'hui affaiblis. Quand vous avez une religion ou une idéologie, c’est clair, ça explique tout. Ça, aujourd’hui, on ne peut pas. Donc on recherche frénétiquement des scénarios qui nous permettent de comprendre le monde”. Pierre-Henri Tavoillot est philosophe. Il revient sur la notion de peur au 21e siècle.
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“La peur nous rassure, c'est-à-dire qu’elle est une clé d'explication du monde là où il n'y en a plus. Celui qui a peur aujourd’hui semble plus profond que celui qui n'a pas peur. Il y a une sorte de gain d'esprit critique : on nous la fait pas, on arrive à voir sous les phénomènes. Donc, vous voyez, on peut se gargariser de la peur, en se disant je suis plus intelligent que les autres, je suis plus lucide que les autres. Il y a une autorité de la peur, encore une fois. C'est cette autorité de la peur qui permet de dire, voilà: tout le monde croit que tout va bien, moi, je vous le dis : tout va mal”.
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“L'écoanxiété, c'est un phénomène qui est au fond spirituel”
Comme l’explique le philosophe, le mot “peur” est rattaché à un champ sémantique “extraordinaire” : “Vous avez l'angoisse, la phobie, l'effroi, l'inquiétude, l'anxiété... Et ce champ sémantique est variable en fonction des langues”. Pour lui, la peur se qualifie de la façon suivante : “C'est ce qui suscite chez vous une inquiétude - je suis obligé d'utiliser un autre terme, et cette inquiétude vous empêche soit de réfléchir, soit de vivre, soit d'agir”.
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La peur du 21e siècle qui prédomine est celle liée au réchauffement climatique et à l’environnement. On parle de l’écoanxiété. Pour Pierre-Henri Tavoillot, “c'est un phénomène qui est au fond spirituel. L'expression est quand même formidable: sauver la planète. Salut. on a un mot religieux qui est utilisé ici. Et c'est vrai que au dispositif religieux d'avant, ou spirituel d'avant, cette formule, sauver la planète, paraîtrait totalement absurde. Pour un chrétien, il n'y a qu'un seul sauveur du monde, c'est Jésus. Donc ça paraîtrait complètement fou. Pour un philosophe grec, sauver la planète, ça n'a pas de sens, parce que la nature se définit comme quelque chose qui ne meurt pas. Dans la nature, tout naît, tout croît, tout meurt. Donc sauver la nature, qui ne meurt pas, c'est absurde. Donc ici on a l'émergence d'une nouvelle forme de spiritualité, très puissante, qui consiste à dire: moi, petit individu lambda et minuscule, parce que je vais acheter ça plutôt que ça, je vais sauver la planète”.
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“La peur n’est pas bonne conseillère pour résoudre un problème”
Le philosophe interroge également sur l’action liée à la peur : “La question, c'est de savoir si la peur, réaction nécessaire, est une incitation correcte à l'action. C’est-à-dire que la peur est nécessaire pour identifier le danger, mais elle n'est pas bonne conseillère pour résoudre le problème. Parce que quand on a peur, on fait potentiellement n'importe quoi. Et en termes d'urgence climatique, la question est une question complexe. Le problème en termes d’urgence climatique, ce n'est pas de “réveiller les gens”, le problème, c'est de savoir ce qu'il faut faire. Et ce qu'il faut faire n'est pas évident. Parce que ça a des effets. Si, pour lutter contre la question climatique, vous créez une crise sociale ou une crise alimentaire avant la catastrophe climatique, eh bien la catastrophe, probable plus tard, aura lieu en toute certitude de manière beaucoup plus proche”.
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“Quel est le rapport entre la peur et le temps? Le temps qui passe. C'est un rapport très important, puisque quand on a peur, c'est par rapport à l'avenir. Et donc on peut dire aujourd'hui, effectivement, qu'il y a une crise de l'avenir.” Pour le philosophe, on fait également face à une “crise du progrès” : “Il y a eu ce qu'on appelle le progressisme, ou la religion du progrès, qui consistait à dire que l'humanité trouvera toujours les réponses aux questions qu'elle se pose, que tout avance, etc., et que tous ceux qui font obstacle à ce progrès, par exemple industriel ou économique, doivent être éliminés. Une position évidemment très dangereuse. Il y a ceux qui, à l'inverse, disent: le progrès, c'est une dialectique, c'est-à-dire qu’il se renverse en son contraire. La technique produit des choses abominables: bombe nucléaire, industrialisation, pollution, etc. Et il me semble qu'entre ces deux positions, progressiste et décliniste, il y a “le progrès critique”, c'est-à-dire l'idée qu’individuellement, on sait qu'on va mourir. Ça ne nous empêche pas de vouloir grandir. Eh bien, collectivement, on sait qu'il y aura une fin, à un moment ou un autre, que ça ne nous empêche pas de vouloir grandir collectivement. C'est ça le progrès critique, mais sans toute-puissance, et puis en étant extrêmement attentifs aux effets pervers de nos actions. Voilà, c'est ça, et c'est une position qui me paraît et très pertinente pour le monde d'aujourd'hui”.
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