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Héroïsation des soignants : le coup de gueule de Baptiste Beaulieu

Le coup de gueule du médecin Baptiste Beaulieu sur l'héroïsation des soignants et le démantèlement de l'hôpital public.
Publié le
19
/
04
/
2020

Pourquoi l’héroïsation des soignants pose problème, par Baptiste Beaulieu


Le médecin généraliste et romancier dénonce une dilution des revendications des personnels soignants dans un vocable généralisant et démagogique.


« Nous sommes en guerre », a répété Emmanuel Macron lors de son discours d’annonce du confinement. Depuis, le gouvernement, les médias et de nombreux français filent la métaphore guerrière, et celle de l’héroïsation des soignants qui l’accompagne. Baptiste Beaulieu, médecin généraliste, romancier et chroniqueur, trouve ce vocable problématique. Il nous explique pourquoi.


« L’héroïsation du personnel soignant, c’est commode pour dépolitiser nos revendications »


En guerre, on donne des ordres, en temps de crise sanitaire, on donne des moyens. Pourquoi croyez-vous que le gouvernement a choisi le champ lexical de la guerre ? Tout simplement parce qu’il ne peut pas donner les moyens.


Ces derniers temps, on a beaucoup entendu des mots comme « ils sont en première ligne », « ils montent au front », « c’est la guerre »... L’héroïsation du personnel soignant, c’est un narratif commode pour dépolitiser nos revendications et nous enfermer dans une posture intenable. Parce qu’un héros, ça ne demande pas du personnel supplémentaire, ça ne demande pas d’aide, et ça ne demande pas non plus ce truc un peu sale qu’on appelle des sous.


« Je me sens comme la plupart de mes collègues soignants : fatigué et en colère »


Je me sens comme la plupart de mes collègues soignants : fatigué et en colère. Encore plus quand je vois mes collègues infirmiers, aide-soignantes, aides-soignants, infirmières, médecins, qui vont au travail avec des sacs poubelle en guise de surblouse. Ou que j’entends qu’on réquisitionne des voiles d’hivernage pour leur fabriquer des surblouses de fortune.


En tant que médecin généraliste, en ce moment, ma vie consiste à dire aux gens : « Oui, vous présentez tous les symptômes du Covid-19, non, on n’a pas de tests disponibles car on les rationne compte tenu de leur rareté. Oui, il vous faudrait porter des masques, non vous n’en trouverez pas car on est en pleine pénurie. » C’est assez kafkaïen comme situation.


« Les seules personnes habilitées à utiliser ce langage héroïque ce sont mes confrères et consœurs »


Moi, ce que j’attends, c’est que le gouvernement gère cette crise sanitaire avec des données scientifiques rigoureuses, factuelles, avec l’observation de ce qui se passe d’autres pays et l’utilisation de ce qui fonctionne dans ces autres pays. On a besoin de tests, on a besoin de masques et de gants, de surblouses, de personnel supplémentaire. On a besoin de l’hôpital public.


On n’a pas besoin du Président qui va visiter un hôpital militaire avec le bruit des hélicoptères et le drapeau français en arrière-plan. D’ailleurs, j’estime que les seules personnes habilitées à utiliser ce langage héroïque ce sont mes confrères et consœurs infirmiers, infirmières, aide-soignant, parfois âgés. Parce que vous savez, on peut être infirmier et avoir des comorbidités, on peut être infirmière et être en surpoids, être médecin et avoir des problèmes de cœur.


« Un système qui a placé la valeur argent avant la valeur humaine »


Je considère que ces collègues-là ne sont pas dupes de ce qui se passe en ce moment. Surtout les plus âgés d’entre eux, les plus fragiles. Je ne peux pas m’empêcher d’y voir une sorte de mécanisme de défense de la part du corps soignant qu’on envoie sans gants, sans masque, sans surblouse, sans tests, ou parfois avec des masques périmés depuis 10 ans.


Vous savez, c’est plus facile de se faire une raison quand celle-ci est épique. Alors qu’être juste un pion sacrifié sur l’autel de l’ultra-libéralisme, ça ne fait pas sens du tout. Vaut mieux mourir en héroïne que mourir en rien du tout, en pertes et profits d’un système qui a placé la valeur argent avant la valeur humaine.


« Ce qui déclare la guerre à l’humain, c’est le démantèlement de l’hôpital public »


Un virus ne fait pas la guerre, il vit sa vie de virus. Ce qui déclare la guerre à l’humain, c’est le démantèlement de l’hôpital public. L’hôpital a perdu 5 % de ses lits depuis 2013. À eux seuls, les établissements publics en ont perdu pratiquement 13.600.


Il ne faut pas oublier ça. Évidemment, ce serait bien de ne pas oublier, aussi, qu’il y a quelques semaines, le gouvernement d’Édouard Philippe et sa police réprimaient fermement les soignants qui manifestaient dans la rue pour une meilleure prise en charge de leurs patients et plus de moyens. Ce n’est pas seulement la faute de ce gouvernement parce qu’il y a aussi les gouvernements Jospin, Fillon, Raffarin, Ayrault... Ils ont tous contribué au démantèlement de l’hôpital public. Alors c’est étrange parce que maintenant, ça joue du Hans Zimmer chaque fois qu’on met une blouse blanche.


L’héroïsation, c’est toujours un piège, car c’est une dépolitisation. Quand la crise sera passée, on ne veut pas de monuments aux morts, pas de statues. On veut du personnel supplémentaire et de l’argent.