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Règles douloureuses : Juliette Ferry-Danini a enquêté sur le Spasfon
“J'ai été une adolescente, en France, où on m'a prescrit du Spasfon, pour tout et n'importe quoi : règles douloureuses, cystite, J'ai réalisé que ce n'était pas juste moi qui pensais depuis toutes ces années que ça ne fonctionnait pas, il y avait plein d'autres femmes dans ce cas-là”. Juliette Ferry-Danini est philosophe de la médecine et enseignante-chercheuse à l’Université de Namur. Dans son livre “Pilules roses”, elle a enquêté sur la réelle efficacité du Spasfon, un médicament très fréquemment proposé aux femmes. “Tout l'enjeu de mon livre, ça a été d'expliquer cette situation. Pourquoi il y a ce succès de prescriptions et de ventes en pharmacie ? Et pourquoi on a si peu de données scientifiques ? En fait, il y a très, très peu d'essais contrôlés randomisés sur le Spasfon, sur le phloroglucinol, et par exemple, il n'y en a même pas du tout dans le cas des règles douloureuses. Et donc il y avait forcément une démarche historique à avoir pour répondre à cette question” explique la philosophe de la médecine.
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“On manque de données pour défendre le fait qu'il est efficace”
En menant ses recherches, Juliette Ferry-Danini constate que le Spasfon n’existe qu’en France. “C’est une exception française”. Il est “né en France en 1961” et “en 1964, le médicament est introduit sur le marché français. C'est un succès immédiat. Ça fera la richesse du laboratoire Lafon”. La philosophe indique que le premier essai dit clinique a été réalisé sur 14 patients uniquement. “Il est très révélateur du fait qu'il est né, le Spasfon est né dans une sorte d'ignorance, à la fois des règles éthiques, des règles scientifiques”.
Ce qui traduit pour elle un manque sérieux de données scientifiques et pose problème lorsque l’on sait que le médicament a été prescrit massivement aux Françaises. “Cette situation de prescription massive d'un médicament pour lequel on manque de données pour défendre le fait qu'il est efficace, ça crée plusieurs problèmes. D'abord, le fait qu'au niveau thérapeutique, on peut potentiellement être dans une situation de perte de chance. Typiquement, l'exemple des règles douloureuses: on vous prescrit du Spasfon et vous ne prenez pas d'ibuprofène, alors même que c'est le médicament recommandé. Vous allez souffrir inutilement, potentiellement, alors que vous auriez pu avoir accès à un médicament plus efficace”.
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“Maintenant, ça peut être la situation de prescription, mais ça va se généraliser ensuite dans l'automédication vous n'allez pas forcément avoir le réflexe de prendre un médicament plus efficace. Ça nous maintient, nous, en tant que patientes, de patients, cette situation de surprescription d'un médicament qui n'a pas fait ses preuves au niveau scientifique, dans une situation, potentiellement où on ne comprend plus, ce que c'est la médecine” ajoute Juliette Ferry-Danini. Elle indique également qu’en 2021, “il a été prescrit 25,3 millions boîtes de phloroglucinol, c'est la molécule du Spasfon, donc pas juste le Spasfon mais tous ses génériques, sous toutes ses formes, etc. Quand on regarde les données accessibles de l'Assurance maladie, en 2021, 72% des prescriptions de phloroglucinol concernent des femmes”. “Le but de mon livre, c'était d'étudier le Spasfon comme un espace d'ignorance, c'est-à-dire un espace où la connaissance médicale, les connaissances scientifiques ont été injustement retardées” conclut l’auteure de “Pilules roses” publié aux éditions Stock.
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