Dans ses réquisitions, le ministère public a critiqué une enseignante en position de "toute puissance" qui avait un "contact assez rude avec les élèves". Dans sa relation avec Evaëlle, elle "la jette en pâture au collectif, la fait pleurer".
Elle a estimé que la prévenue, une enseignante de 62 ans jugée pour harcèlement moral sur trois élèves dont Evaëlle - mais qui a bénéficié d'un non-lieu pour homicide involontaire -, était dans une "dérive systémique" qui "aurait pu perdurer longtemps après si l'institution judiciaire ne s'était pas saisie de la notion du harcèlement scolaire".
Depuis une loi de mars 2022, le harcèlement scolaire est reconnu comme un délit.
Son "harcèlement est le déclencheur et catalyseur du harcèlement des mineurs", a affirmé la procureure. Deux d'entre eux seront jugés devant le tribunal des enfants avant la fin de l'année.
Le 21 juin 2019, Evaëlle se pend à son lit, à 11 ans.
L'arrivée en 6e au collège Isabelle-Autissier d'Herblay dans le Val-d'Oise avait été éprouvante pour l'adolescente, bouc émissaire de camarades qui l'insultent et la violentent
Dès septembre 2018, elle a également fait face à des tensions avec sa professeure de français autour de la mise en place d'un protocole médical relatif à des problèmes de dos.
Ses parents finissent par porter plainte contre des élèves et la changent de collège en février 2019.
Evaëlle "a été projetée dans une détresse extrême notamment par le comportement" de son enseignante et "a perdu pied face au harcèlement dont elle a été l'objet", a plaidé l'avocate de ses parents Me Delphine Meillet.
Suicide d'Evaëlle : "sérieuse" ou "cassante", l'enseignante jugée pour harcèlement
Rares regrets
Un portrait très contrasté de l'enseignante aux 30 années d'expérience sans accroc a été brossé par différents anciens collègues. "Autoritaire et cassante" d'un côté, "bienveillante et aidante" de l'autre. Pour l'une des victimes, elle avait "ses chouchous et ses cibles".
"Je n'ai pas humilié Evaëlle", a-t-elle affirmé, longuement interrogée dans la matinée.
Sur les sessions de vie de classe litigieuses, elle a expliqué que "ce n'était pas dans le but de la mettre en difficulté mais essayer de régler ce problème relationnel dans la classe".
D'après le récit des élèves, elle avait demandé aux collégiens d'exprimer leurs reproches à Evaëlle qui devait ensuite s'expliquer. Face à ses pleurs, l'enseignante s'était énervée et lui avait intimé de répondre aux questions.
"J'ai dû lui dire : 'Arrête de pleurer', phrase idiote à dire. Je ne voulais pas qu'elle pleure, ce n'était pas l'enjeu", reconnaît l'enseignante.
Pour Evaëlle, "c'était la pire journée de toute ma vie", rapporte sa mère.
"Pour une professeure censée avoir humilié quotidiennement Evaëlle, aucun des enfants n'est capable de donner un exemple de propos" de l'enseignante à Evaëlle, a plaidé en défense Me Marie Roumiantseva, demandant sa relaxe.
Elle a également souligné que la pré-adolescente n'avait jamais mis en cause son enseignante auprès des différents thérapeutes et professionnels qui l'entouraient.
Lundi, les parents ont dénoncé aussi bien l'inertie de l'Education nationale - contre laquelle il n'y aura aucune poursuite pénale à la suite d'une indemnisation - que le manque d'investigations des autorités, une première plainte ayant été classée alors qu'Evaëlle était encore vivante.
Le suicide d'Evaëlle, "c'est le drame de toute l'institution scolaire" avait reconnu le principal du collège. A l'époque, un harcèlement émanant d'un professeur lui était inimaginable et il avait fait bloc derrière l'enseignante.
Durant le procès de deux jours, elle a été confrontée à une kyrielle de témoignages d'élèves relatant des humiliations : "tu es bête, tu vas finir SDF", "on peut pas être bête à ce point, tu n'as pas de cerveau".
"Tout le monde a compris sauf J.", a-t-elle encore dit à un élève malentendant d'une autre classe, aujourd'hui sur le banc des parties civiles.
"Vous regrettez d'avoir dit ça ?", a demandé la présidente.
"Oui si ça l'a blessé, évidemment", concède l'enseignante, dans un rare regret.
Si elle a contesté plusieurs insultes, elle a admis certaines paroles. "Oui ça m'arrivait de crier, de dire ça dans des moments", a-t-elle reconnu, estimant qu'elle était "exigeante", "à l'écoute" et déterminée à "aider ses élèves".
La décision sera rendue le 10 avril.