La Ligue des droits de l’homme a déposé plainte pour violation de la vie privée, traitement illicite des données personnelles et pratique commerciale trompeuse le jeudi 13 février, selon Le Monde et Radio France. Et un signalement au procureur de la République de Paris a également été effectué.
Cette poursuite s’appuie sur les révélations de Thomas Le Bonniec, 29 ans, lanceur d’alerte français. C’est lui qui a dévoilé le travail massif d’écoute, de transcription et de balisage des enregistrements déclenchés par Siri.
Il travaillait en 2019 comme analyste de données pour Globe Technical Services, un sous-traitant de Apple, et étudiait tous les jours des enregistrements issus de Siri.
D’après lui, son travail consistait à vérifier que les transcriptions des conversations par Siri sont correctes ou non, et d’identifier si les enregistrements et l’activation de Siri sont accidentels.
D’après la société américaine, ce système permet d’améliorer le fonctionnement et la qualité de Siri, et elle assure que les données collectées sont anonymisées.
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"Des choses très intimes"
Sauf que Thomas Le Bonniec aurait collecté des documents montrant que les analystes pouvaient identifier, par recoupement, le propriétaire d’un appareil, car ils avaient également accès à des données issues d’applications présentes dessus.
L’ancien employé aurait traité plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’enregistrements, dont de nombreux déclenchés par erreur. Or les utilisateurs y parlent de leur vie privée et vivent des moments sans savoir qu’ils sont enregistrés.
"Il y a des moments banals, choquants ou gênants, où vous entendez des choses très intimes, voire violentes, qu’on ne partage pas avec des inconnus. Des conversations où il est question de données de santé (..). On entend aussi des opinions politiques ou syndicales. Beaucoup d’enregistrements d’enfants sur les iPads. Je me souviens avoir entendu quelqu’un parler de son compte en banque en Suisse. Les collègues entendaient régulièrement des couples faire l’amour."
Selon la plainte, Apple ne respecte donc pas le Règlement général sur la protection des données (RGPD) qui prévoit un consentement “éclairé” des utilisateurs avant toute collecte d’informations personnelles.
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Changement de méthode chez Apple
Du côté d'Apple, un communiqué datant de 2019 explique que la situation a été prise en compte : "Face aux craintes des utilisateurs, nous avons immédiatement suspendu la notation humaine des requêtes envoyées à Siri et avons entamé un examen minutieux de nos pratiques et nos méthodes. Nous avons par conséquent décidé d’apporter quelques changements à Siri."
Et de préciser ces changements :
"Premièrement, par défaut, nous ne conserverons plus aucun enregistrement audio des interactions avec Siri. Nous continuerons à utiliser des transcriptions générées par ordinateur pour améliorer les performances de Siri.
Deuxièmement, les utilisateurs pourront choisir ou non de participer à l’amélioration de Siri en lui donnant accès à des échantillons audio de leurs requêtes. Nous espérons que de nombreux utilisateurs nous feront confiance et aideront Siri à évoluer. Nous leur garantissons qu’Apple respectera leurs données et protègera scrupuleusement leur confidentialité. Les utilisateurs acceptant de participer pourront se retirer du programme à tout moment.
Troisièmement, les clients choisissant de participer auront l’assurance que seuls des employés Apple seront autorisés à écouter des échantillons audio de leurs interactions avec Siri. Notre équipe effacera tous les enregistrements audio relevant d’un déclenchement accidentel de Siri."
Une affaire similaire aux États-Unis
Apple évalue que Siri traite plus de 25 milliards de requêtes par mois dans le monde. Et en 2023, Thomas Le Bonniec avait qualifié ce dispositif de “système de surveillance massif et généralisé. On parle de surveillance commerciale”.
Depuis 2020, il a effectué plusieurs signalements auprès d’agences françaises ou européennes de protection des données, mais elles n’ont déclenché aucune investigation.
Pour le contexte, aux États-Unis, la justice californienne a jugé une affaire similaire. Un recours collectif accuse Apple d’avoir utilisé ces enregistrements à des fins commerciales, et non pas pour améliorer uniquement les performances de Siri. La justice doit rendre sa décision ce vendredi 14 février.
Le groupe a toujours nié, mais s’apprête à débloquer un fonds de 95 millions de dollars pour indemniser les plaignants et éviter de futures poursuites dans le pays, soit 20 dollars par appareil Apple détenu.
Après les révélations du lanceur d’alerte français, Apple a mis fin à ce programme d’analyse en 2019.
Contactée, la société a déclaré à Radio France: "Nous utilisons les données Siri pour améliorer Siri, et nous développons constamment des technologies pour rendre Siri encore plus privé. Apple a réglé cette affaire pour éviter des litiges supplémentaires et afin d’aller de l’avant".
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