À la suite d'une vague de témoignages anonymes sur Twitter (aujourd'hui X), le scandale éclate au grand jour grâce à des enquêtes publiées dans Libération et Numérama (site web d'actualité sur l'informatique et le numérique) en juillet 2020.
Dans la foulée, Serge Hascoët, directeur créatif et numéro 2 du groupe, démissionne. Thomas François et Guillaume Patrux sont licenciés pour faute grave.
Ce sont ces trois hommes que le tribunal va juger du 10 au 14 mars, suspectés d'avoir mené et encouragé un management toxique au sein du studio, selon des sources proches du dossier.
Les témoignages accablants des plaignantes contre Thomas dit "Tommy" François, alors vice-président du service éditorial d'Ubisoft, exposent l'atmosphère qu'il a fait régner dans les locaux à Montreuil.
Sur la période de prévention retenue par la justice, de janvier 2012 à juillet 2020, Thomas François avait entre 38 et 46 ans.
Dans le stand up, l'humour pour dénoncer les violences sexuelles
Employée ligotée
Ses habitudes au bureau: diffuser des films pornographiques avec le son sur haut-parleur, embrasser par surprise des salariés sur la bouche, jouer à "chat-bite", commenter en public le physique des employées qu'il traite de "connasse", "laideron", "salope" ou "morue"...
Alors qu'elle porte une jupe, Tommy François oblige une jeune collaboratrice qu'il vient d'embaucher à faire le poirier dans l'open-space.
Il ligote à une chaise cette même employée, la place dans l'ascenseur et l'envoie à un autre étage. Ou encore lui barbouille le visage de feutre puis la contraint à suivre une réunion sans pouvoir se laver.
Outre ces accusations, il est poursuivi pour tentative d'agression sexuelle ayant voulu, lors d'une fête de Noël, embrasser de force une jeune employée, maintenue par d'autres collègues.
Car il incitait par ailleurs "ses subordonnés à agir de même, usant notamment à cette fin de son aura et de sa position hiérarchique élevée au sein de la société", selon un rapport d'enquête consulté par l'AFP.
Accusé d'être tout aussi adepte de propos libidineux et de questions intrusives de nature sexuelle, Serge Hascouët est par ailleurs accusé de commentaires et actes racistes.
Après les attentats de 2015, il aurait demandé à une employée de confession musulmane si elle adhérait aux idées du groupe État islamique.
Cette assistante de direction pouvait retrouver des images de sandwich au bacon en fond d'écran de son ordinateur, de la nourriture déposée sur son bureau pendant le mois du ramadan.
Âgé de 59 ans, l'ancien numéro 2 du groupe qui comptait alors 20.000 employés à travers le monde, va répondre au tribunal de Bobigny des accusations tant de complicité que de harcèlement moral et sexuel.
Troisième prévenu dans ce procès, l'ancien "game director" Guillaume Patrux, 39 ans, est lui renvoyé pour harcèlement moral.
Le "fléau" des violences sexistes et sexuelles sous relation d'autorité
"Inertie des ressources humaines"
Des dizaines de témoins ont été entendus lors de l'enquête mais "un grand nombre renonçait à déposer plainte par crainte des réactions du milieu du jeu vidéo", selon le rapport dont l'AFP a eu connaissance.
Lors de leurs auditions, ces personnes ont déploré "l'inertie des ressources humaines pourtant alertées sur ces comportements", signale cette même source.
À l'initiative des premières plaintes en juillet 2021, le syndicat Solidaires informatique dénonce "les rouages d'un système qui manipule, épuise et broie les travailleurs.euse.s de l'entreprise".
Une des neuf victimes à s'être constituées partie civile "a été l'objet de multiples actes et propos humiliants qui ont causé d'importantes répercussions psychologiques," indique à l'AFP Me Benjamin Bohbot.
Serge Hascoët "nie catégoriquement avoir harcelé une seule de ses collègues. Il nie avoir eu connaissance d'actes répréhensibles commis par différents collaborateurs d'Ubisoft," selon un communiqué transmis à l'AFP par son avocat Me Jean-Guillaume Le Mintier.
Un argumentaire que les parties civiles battent en brèche.
"À partir du moment où c'est quelque chose d'ancré dans l'entreprise et que les dirigeants n'interviennent pas pour faire cesser, c'est systémique à l'entreprise," commente Me Charlotte Merigot.
"J'ai vu passer plusieurs dossiers de harcèlement moral ou sexuel et je n'ai jamais vu une telle volonté d'humilier," ajoute l'avocate du syndicat des travailleuses et travailleurs du jeu vidéo.
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